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Les Records Les records sont-il utiles ? |
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M Henry POTEZ nous dit ... |
Evidemment, les records sont utiles. et font progresser l'aviation : mais tous
n'ont pas le meme degre d'utilite.
Ce qu'il faut se dire avant tout, c'est que l'emotion actuelle est surtout
causee par une mauvaise comprehension de l'aviation. Le puiblic
ne voit pas nettement la difference fondamentale qui existe entre l'aviation
de performance et l'aviation commerciale et utilitaire qui est en quelque sorte
l'aviation courante et normale.
Par definition, l'avion de performance est un appareil duquel on essaie
de tirer le maximum : le record materialise les possibilites maxima
de l'avion : mais, par le fait meme, il fait courir certains risques qui
n'existent pas dans l'aviation courante. Comme d'autre part, pour tirer de l'appareil
ce maximum de rendement, on s'adresse a des equipages d'elite
dont la renommee est deja grande, tout echec a un
retentissement profond.
Quand il s'agit de l'automobile, le lecteur comprend tres bien la difference
existant entre la course et l'utilisation normale de la voiture. Il sait que la
course exige des qualites speciales des conducteurs, et qu'elle
implique aussi des dangers particuliers. Par suite, il ne lui viendrait plus a
l'idee de comparer les deux aspects de l'activite automobile. Il
devrait en etre de meme pour l'aviation de performance d'une part,
et l'aviation commerciale et touristique, d'autre part.
Il faut le repeter, les essais, la mise au point et les records
constituent un veritable contrôle de la valeur du materiel.
C'est bien ace a eux que le progres de l'aviation courante
s'etablit d'une facon certaine. Mais ceux qui entreprennent ces
essais, cette mise au point et ces records, ont une part de risques qu'il est
impossible d'eliminer completement. A eux revient la part delicate
et dangereuse du travail.
Les equipages de records le savent d'ailleurs parfaitement.
Ils sont loin d'etre des inconscients ; les constructeurs eux aussi ont
tout interet a mettre toutes les chances de leur côte
et a ne pas risquer une tentative où les possibilites de
reussite ne seraient pas suffisamment grandes.
Car si le record reussi est un merveilleux agent de propagande et de publicite,
le record manque constitue la contre-propagande la plus fâcheuse.
Le record de distance en ligne droite, est l'exemple le plus frappant du record
de propagande : il parle mieux que tout autre aux imaginations et aux intelligences.
Le public les voit, les realise ces deux points eloignes
de la terre qu'un seul vol vient de reunir. Si on remporte le succes,
c'est l'admiration du monde. Si on echoue, c'est pour la foule une deception
d'autant plus lourde qu'elle ne saisit pas les difficultes de l'entreprise
et la valeur des risques courus.
Il s'ensuit une periode d'amertume, de jugements errones, de generalisations
passionnees.
Au point de vue technique, le record de distance en circuit ferme est plus
riche en enseignements ; il est peut-etre aussi plus exact et presente
des dangers beaucoup moindres ; les conditions meteorologiques peuvent
etre suivies a tout moment ; l'itineraire est parfaitement
connu ; les risques d'atterrissage force sont plus faibles. Mais evidemment
cette performance parle moins a la foule ; elle ne la subjugue pas comme
le record de distance en ligne droite.
Il serait donc necessaire pour des tentatives de ce genre de preparer
longuement a l'avance l'opinion publique et de l'eclairer suffisamment
pour que l'echec toujours possible quel que soit le degre de preparation
et de mise au point, ne puisse pas s'interpreter faussement comme une carence
de l'aviation toute entiere ; s'il est un exploit technique, le record
de distance en ligne droite est aussi, et surtout, un exploit sportif comportant
des risques speciaux qui, s'ils le rendent plus beau, en rendent aussi
la realisation plus difficile.
Et puisque les risques sont plus grands, il convient d'eviter absolument
d'y ajouter ceux qui resultent de la competition entre plusieurs
appareils. Oui, le record de distance en ligne droite doit toujours n'etre
tente que par un seul appareil, mis au point prudemment et methodiquement,
avec tout le temps et le calme necessaires et mene par un equipage
attendant sagement son heure. Jamais les aviateurs ne doivent se sentir talonnes
par des necessites autres que celle de reussir pleinement
quand l'occasion s'en presentera. Il faut alors les laisser dans le silence
attendre cette occasion tout en sachant l'opinion publique assez eclairee
pour apprecier sagement, et la valeur de la tentative, et les risques particuliers
qui y sont inherents.
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M Henry POTEZ est President de la Chambre Syndicale des Industries Aeronautiques
L'Air n° 286 du 1er octobre 1931
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