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Les Records Les records sont-il utiles ? |
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M Louis BLERIOT nous dit ... |
Des deux records de distance, le record de distance en circuit ferme
est le plus interessant et le plus riche en enseignements techniques
: c'est aussi celui qui offre le moins de risques.
Le record de distance en ligne droite est plutôt un exploit sportif et
do propagande et comme tel se trouve etre plus difficile et plus delicat
a realiser. L'appareil doit, en effet, parcourir un itineraire
excessivement etendu, comportant des contrees tres differentes
et forcement peu connues de l'equipage ; enfin les conditions
meteorologiques ne peuvent etre donnees d'une facon
certaine sur la totalite du parcours et de plus, il est impossible de
suivre et de prevoir leurs variations sur tout ce parcours.
Malgre tout, les raids et les records, par leur essence meme, comportent
toujours une part plus ou moins grande de risques ; elle est moins grande dans
le circuit ferme, plus "importante dans le record en ligne droite,
mais elle existe quand meme ; dans tous les cas, on essaie de tirer de
la matiere le maximum de rendement et par consequent le risque
augmente ; si tous les records etaient facilement et sûrement realisables,
ils perdraient immediatement leur valeur. L'aviation est encore une science
neuve où la pratique marche de pair avec la theorie : le record
est l'experience qui met en lumiere, ou leur concordance, ou leur
eloignement, et materialise les resultats acquis.
Ils sont donc absolument necessaires au developpement de l'aviation
a condition de s'entourer de toutes les garanties necessaires.
Or, a l'heure actuelle, si l'on s'occupe specialement des records
de distance ou duree, ou voit d'abord qu'il s'agit d'appareils speciaux
ayant ete commandes par l'Etat dans le but de battre ces
records.
Mieux, ils ont tous deja fourni des preuves suffisamment convaincantes
de leur valeur ; des resultats appreciables ont ete
obtenus par chacun des appareils en question et par suite il ne saurait etre
question de s'engager resolument dans l'inconnu en tentant de nouveaux
records. Les equipages eux-memes n'ont pas ete choisis
au hasard ; il s'agit de pilotes experimentes ayant conscience
et de leur valeur professionnelle et de la valeur des appareils qu'ils ont en
mains, sans pour cela se cacher la part de dangers que presentent leurs
tentatives. Ils sont conscients des possibilites des machines, mais aussi
conscients du risque couru puisqu'ils savent que le risque ne peut etre
completement elimine.
Dans les records tous les interets en jeu : pilotes, constructeurs
de cellules, de moteurs, d'equipements, tendent vers le meme but,
la reussite, et ne sauraient se risquer inconsiderement
car l'echec s'oublie difficilement. Toutes les chances qu'on peut mettre
du côte "reussite" y sont donc accumulees
sans pour cela pouvoir donner la certitude complete de cette reussite.
Et ces chances seraient encore augmentees si les responsabilites
pouvaient etre plus nettes ; en cas d'echec c'est une cascade qui
va de l'un a l'autre, de l'avion au moteur, du moteur a l'alimentation,
de l'alimentation a l'allumage, etc...
Il faudrait qu'il n'y ait qu'un seul responsable, le constructeur d'avion, a
qui on laisse le soin de choisir le materiel qu'il juge lui convenir
au lieu de le lui imposer. Etant a ce moment responsable de son choix,
il est aussi completement responsable devant l'opinion et devant lui-meme.
Il serait d'ailleurs souhaitable que l'industrie aeronautique cesse de
vivre dans cet etat de dispersion qui semble lui etre naturel ;
il faudrait, au contraire, quelques puissants groupements englobant des constructeurs
de cellules, de moteurs, d'helices et d'equipements ; la collaboration
entre tous ces elements differents y serait beaucoup plus
nette et partant beaucoup plus efficace. Pour la preparation des records
entre autres, la coordination des efforts et la centralisation des responsabilites
ne pourraient avoir que de bons resultats, a condition toutefois
que l'on sache laisser a l'aviation civile la liberte qui lui
est necessaire, c'est-a-dire la liberte du choix de son
materiel et de son equipement.
Sans quoi l'avion n'est plus en realite qu'un amalgame plus ou
moins heureux de materiels imposes et au milieu duquel la responsabilite
du constructeur d'avion ne peut que disparaître alors que surtout dans
un avion de records, elle devrait etre la seule.
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L'Air n° 286 du 1er octobre 1931
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