Le F-117A reste, dans l'histoire de l'aviation, le premier appareil spécialement conçu dans le but de le rendre aussi invisible que possible des radars. Avec sa mise en service, la technologie aéronautique entra dans l'ère de la furtivité.
Have Blue
En 1975, le Département des Projets Spéciaux de Lockheed (Skunk Works), fort de ses connaissances en matière de faible détection (l'U-2 et le SR-71 viennent de ses ateliers), commença à travailler sur un appareil capable d'éluder les radars ennemis tout en restant capable de bombarder avec précision. Cet avion utilisait la récente technologie du facettage, c'est-à-dire qu'en lieu et place d'un fuselage parfaitement lisse, l'avion devait avoir une silhouette aux lignes brisées, de façons à ce que tou ou partie des ondes réfléchies ne retournent pas à l'envoyeur mais soient dispersées dans l'espace, réduisant ainsi la probabilité de détection, comme le montre le schéma ci-dessous.
En 1977, l'USAF passa commande de deux exemplaires de démonstration dans le cadre du projet hautement classifié Have Blue. Les avions furent construits en quelques mois en piochant dans les stocks de pièces de l'USAF (train de A-10, CDVE de F-16, siège éjectable de F-5...) puis envoyés à Groom Lake, dans le range de Nellis (Nevada), où ils furent testés dans le plus grand secret, loin des regards curieux. Aucun d'entre eux ne reçut d'immatriclation officielle ni ne fut déclaré au registre des actifs de l'USAF, Lockheed se contentant de leur attribuer le code 1001 et 1002.
1001 vola pour la première fois en février 1978 mais s'écrasa en mai suivant, forçant son pilote, Bill Park, à s'éjecter. Le 1002 repris les tests et effectua 65 vols jusqu'en juillet 1979 (date de la destruction de 1002 suite à un incendie moteur), prouvant que les hypothèses de détection étaient faibles et que seuls les radars les plus performants (ceux du AWACS par exemple) étaient capables de le voir, mais à très courte distance.
Senior Trend
Convaincus par les performances de Have Blue, le Département de la Défense (DoD) donna à Lockheed les moyens de poursuivre le projets sur fond publics, sous le nom de Senior Trend. L'avion à acquérir devait être un monoplace d'attaque au sol subsonique dépourvu de radar mais équipé d'un système électro-optique pour la navigation et la désignation de cibles.
Le premier appareil de pré-série, plus grand, plus large et plus lourd que Have Blue, pris l'air le 18 juin 1981, propulsé par deux moteurs General Electric F404-GE-F1D2 dépourvus de post-combustion pour réduire la signature infrarouge. Les tests se déroulèrent presque sans incident, l'avion se révélant assez facile à piloter, ce qui résolut l'USAF à ne pas vouloir de biplace d'entraînement de ce type. Néanmoins, un accident détruisit une machine le 20 avril 1982 quand le n°785 s'écrasant immédiatement après avoir quitté la piste de Groom Lake. L'enquête démontra que les CDVE avaient été mal configurées et les ordres données via le joystick latéral étaient interprétées de manière fantaisiste par l'ordinateur (confusion entre lacet et tangage).
En tout cas, une chose était sûre, le F-117A était très difficile à détecter à cause d'une section radar (RCS = Radar Cross Section) extrêmement réduite, surtout en secteur frontal. Or, plus le RCS est faible, plus les capacités de détections sont réduites, comme le prouve ce petit diagramme montrant les capacités de détection avec une antenne radar d'une longueur d'onde comprise entre 3 et 10 m :
Le F-117 ne pouvait être détecté qu'à moins de 15 km, soit à peine plus d'une minute de vol à 900 km/h. Voici, à titre de comparaison, un tableau comparatif de plusieurs RCS :
Type |
RCS (m²) |
F-15 |
405 |
B-52 |
99,5 |
B-1A |
10 |
B-1B |
1,02 |
Tomahawk |
0,05 |
SR-71 |
0,014 |
oiseau |
0,01 |
F-22A |
0,0065 |
F-117A |
0,003 |
B-2 |
0,0014 |
Mise en service
Le premier avion de série sortit des chaînes de montage le 2 septembre 1982. Comme le DoD n'avait pas l'intention de révéler l'existence de cet appareil, un stratagème fut habilement élaboré pour masquer son existence :
Le terrain de Groom Lake étant trop petit pour abriter une unité active aussi secrète, une nouvelle base fut amménagé dans la zone d'essai de Tonopah (Tonopah Test Range - TTR), dans un coin reculé de l'espacé réservé de Nellis.
Afin de ne pas mettre la puce à l'oreille à qui que ce soit en créant une nouvelle unité, les avions furent versés à une unité existante, le 4450th Tactical Group, équipé de A-7D. Ces derniers servirent d'ailleurs aux pilotes de F-117 pour faire leurs quotas d'heures de vol annuelles.
La dénomination attribuée avec l'appareil rompait avec la tradition qui aurait voulu que l'avion s'appelle F-19, encore une fois pour perdre les possibles curieux.
Les vols de F-117 étaient tous effectués de nuit.
Le 4450th TG fut déclaré opérationnel le 28 octobre 1983 avec un total de 14 F-117A.
La présentation publique
Dès 1981, le magazine Aviation Week fit état de l'existence d'un avion aux capacités furtives volant à partir de Nellis la nuit. plusieurs témoins occulaires confirmèrent rapidement cette information, la réalité de cet avion devenant un secret de pollichinelle puisque le romancier Tom Clancy en parla dans son livre Tempête rouge (1986) et le fabricant de maquette Italieri sortit son propre modèle de F-19, totalement fantaisiste évidemment.
Néanmoins, les quelques accidents survenus dans les montagnes du Nevada, avec la perte de deux appareils (n°792 et 815) et deux pilotes (major Ross E. Mulhare et major Michael C. Stewart) forcèrent l'USAF à faire le grand écart pour garder le secret. Des troupes spéciales dispersèrent même les restes d'un vieux F-101A pour tromper les possibles gêneurs. Les rapports d'accidents démontrèrent que les pilotes avaient tout simplement perdu leurs repères au cours d'un vol de nuit et qu'ils avaient volé directement vers le sol. L'USAF considéra alors l'hypothèse de mener des entraînements de jour, ceci l'obligeant à révéler l'existence du F-117.
Le 10 novembre 1988, le DoD diffusa une trompeuse photo de mauvaise qualité, laissant croire, par exemple, que la flèche de l'aile était faiblement prononcée, comme le montre le dessin ci-dessous.
Il fallut cependant attendre le 21 avril 1990 pour que le F-117 soit présenter au public lors d'une journée portes ouvertes à Nellis AFB.
La vie opérationnelle
En octobre 1988, le 4450th TG fut démantelé et les F-117 transférés vers le 37th Tactical Fighter Wing. Le 19 décembre 1989, les avions participèrent à leur premier engagement en combat, à l'occasion de l'opération Juste Cause, censée restaurer l'intégrité du pouvoir au Panama par l'arrestation du général Noriega. Même si les résultats furent mitigés (un des avions avait manqué sa cible), l'avion montra un potentiel extraordinaire qui fut mis à profit à l'occasion de ce qui reste comme le principal fait d'arme du Nighthawk, le bombardement des centres névralgiques de Bagdad durant la première nuit de la Guerre du Golfe, le 17 janvier 1991.
L'avion a été produit à 54 exemplaires, plusieurs ayant été perdus lors de crashs. L'un d'entre eux a été abattu par la défense aérienne serbe le 27 Mars 1999. L'USAF a annulé une commande de 14 nouveaux avions dont les fonds avaient votés par le Congrès car elle jugeait l'investissement inutile, la technologie développée pour cet appareil étant aujourd'hui "obsolète".
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