Petite histoire de la définition des unités
Dans mon vieux
« Manuel
Physique ou manière courte et facile d’expliquer les phénomènes de la
nature »
par M. Jean Ferapie Dufieu, Maître es arts édité à Paris
chez Jean-Thomas Herissant, rue St.Jacques en MDCCLVIII (1758) avec Approbation
et Privilège du Roi, il est écrit, dans le Premier Traité « Traité de la
Porosité et de l’Élasticité », paragraphe 9 :
« L’élasticité est l’effort par lequel certains
corps comprimés tendent à se rétablir dans leur premier état. L’hypothèse des
petits tourbillons renfermés & comprimés dans les corps, fournit, ce
semble, une idée assez naturelle de la cause de l’élasticité. Ils sont
eux-mêmes autant de petits ressorts invisibles qui agissent avec d’autant plus
de force qu’ils se trouvent plus resserrés.
Les partisans de l’attraction la donne encore ici pour
cause. Mais c’est surtout dans les phénomènes de la gravité ou pesanteur
qu’elle joue, à les entendre, le plus beau rôle. Qu’on admette, disent-ils, une
action réciproque entre les corps quoique éloignés & plongés dans le
vide : que les uns attirent les autres avec d’autant plus de force qu’ils
auront plus de masse & qu’ils en seront plus voisins ; ou pour me
servir du langage ordinaire, que l’attraction varie en raison directe des
masses et en raison inverse, non de la simple distance, mais du carré de la
distance ».
Bien que les « partisans de l’attraction » soient
traités avec ironie, ils avaient déjà raison. Les phénomènes physiques
commençaient à être expliqués, mais avec un chaos de valeurs disparates parmi
lesquelles les physiciens et chimistes et même le commerce avaient bien du mal
à accorder leurs calculs.
Vers le milieu du XVIIe siècle, une seule mesure quasiment
universelle existait (elle datait des Chaldéens) : le degré d'angle. L'angle droit est divisé en 90 degrés de 60
minutes chacun. Les navigateurs et les astronomes font des relevés d'une grande
précision avec des cercles gradués, tant et si bien que Kepler découvrira en
1619 les lois des orbites.
Mais ces lois sont fonction des distances, et faute d'une
unité de longueur commune à tous les pays, pas de mesures scientifiques
possibles. Entre les provinces d'un même royaume, il n'y a pas de références
fixes, et pas seulement pour les longueurs : les unités de surface, de volume
ou de poids ont des valeurs aussi diverses que variées d'une ville à l’autre.
Pour ajouter à la confusion, ces unités portent le même nom malgré leurs
différences : les longueurs s'appellent toujours pieds ou toises, les volumes
boisseaux ou tonneaux, les poids livres ou grains.
Le système des poids et mesures est complètement incohérent,
que ce soit en France ou dans les autres pays d'Europe. L'étalon de longueur
est en principe la toise qui fait 6 pieds-de-Roi ; mais ce pied n'est pas la
longueur comprise entre le talon et les orteils, mais celle couverte par quatre
paumes, la paume étant la largeur de quatre doigts posés à plat.
Comme ces doigts peuvent être longs et fins, ou courts et
boudinés, la paume est à géométrie variable ; il en résulte que sa la valeur
d'un pied varie de 20 % d'une province à une autre. Il en va de même de l'aune
ou de la lieue. Quant aux unités de volume, bichets, boisseaux et autres muids,
c'est pire encore : avec 10 boisseaux d'une ville on en remplit 15 de la cité
voisine, de plus et bien que portant le même nom, les boisseaux, setiers et
autres unités de volume ont des contenances différentes suivant qu’ils servent
aux liquides ou aux grains.
En 1666, Colbert fonde l'Académie des sciences où se
regroupent astronomes et géographes pour lesquels cette diversité des mesures
est un obstacle majeur à toute recherche un peu précise, et, à partir de là, de
nombreuses propositions d’unités vont être effectuées :
En 1670, le père Gabriel Mouton propose la " virga
" qui sera la millième partie de la distance découpée sur le méridien
terrestre par une minute d'angle (le millième du mille marin actuel).
En 1671, l'abbé Jean Picard, opte pour la longueur d'un
pendule d’un période de une seconde.
En 1718, après avoir mesuré la longueur du méridien entre
Dunkerque et Collioure, Jacques Cassini propose le centième d'un arc d'une
seconde, soit un peu plus de 30 cm.
En 1740 l’Académie envoie au Pérou Charles de La Condamine
avec pour tâche de mesurer la longueur du pendule simple battant la seconde à
l'équateur.
En 1774 Turgot, contrôleur des Finances, propose au marquis
de Condorcet le travail difficile d'unification des mesures ; en 1776,
Turgot est remplacé par Necker et la réforme est abandonnée.
En 1789, de nombreux cahiers de doléances, réclament
l'uniformisation des poids et mesures, surtout pour ne plus dépendre dans le
paiement des impôts en nature de mesures arbitraires propres à chaque seigneur.
En juin 1789 Condorcet, reprend le travail interrompu en
1776. Une commission, composée des plus
grands savants de l'époque, Coulomb, Laplace, Lavoisier et autres, est chargée
d’uniformiser les poids et mesures. C'est Talleyrand, qui donnera l'impulsion
décisive le 9 mars 1790 en proposant un projet de réforme qui abolit toutes les
anciennes unités féodales.
Reste à trouver l'étalon de longueur dont seront dérivées
les unités de surface, de volume, et même de poids par pesée d'un volume
unitaire d'eau distillée : c'est le pendule qui est choisi.
Le 8 mai 1790, l'Assemblée nationale donne autorité à
l'Académie des sciences pour fixer les nouvelles unités.
Condorcet réunit une nouvelle équipe, approuvée par le roi
Louis XVI le 6 juin 1790, et par l'Assemblée le 12 juin. Dès le 27 octobre la
commission choisi l'échelle décimale pour toutes les mesures. Décision très
importante qui met fin aux toises divisées en 6 pieds de 12 pouces de 12
lignes, aux livres divisées en 2 marcs de 8 onces de 8 gros, etc.
Le 16 février 1791, Charles de Borda forme une nouvelle
commission avec Condorcet, Laplace, Lagrange et Monge ; elle repousse le
pendule, et décide de prendre à la place comme étalon de longueur un arc de
méridien. La triangulation, base de la mesure des arcs de méridien, est d'une
grande fiabilité et bien plus précise que ne peuvent l’être les mesures sur le
pendule et la précision de la seconde.
Le décret du 26 mars 1791 adopte donc le quart du méridien
terrestre comme base du nouveau système ; on se contentera de mesurer un
arc de 9 degrés et demi entre Dunkerque et Barcelone pour en déduire la
longueur d'un arc de 90 degrés (quart de méridien), et la dix-millionième
partie de cette longueur.
Des relevés sont effectués par Cassini, Legendre, Méchain,
Monge et, le général Meusnier au début puis Delambre. Méchain et Delambre
effectueront tous les travaux de triangulation. La Convention, puis la Terreur,
puis la guerre entre la France et l’Espagne rendent le travail très aléatoire.
Les travaux reprennent en juillet 1795 et seront achevés en 1798.
La Convention exige en décembre 1792 que l'Académie fixe des
étalons provisoires. Le 29 mai 1793, Borda, Condorcet, Laplace et Lagrange
présentent une première série de valeurs : la longueur du mètre découle des
mesures de méridien faites quarante ans plus tôt par l'abbé de La Caille. Ce
mètre, terme proposé par Borda, divisé en décimètres, centimètres et
millimètres, mesure 0,513243 toises. L'unité de poids est le grave, poids d'un
décimètre cube d'eau distillée, subdivisé en décigrave, centigrave et
milligrave. C'est Lavoisier et Haüy qui l'ont déterminé au début 1793. La
Convention adopte ces valeurs par la loi du 1er août 1793. L'article premier de
cette loi stipule que " le nouveau système des poids et mesures, fondé sur
la mesure du méridien de la Terre et la division décimale, servira uniformément
dans toute la République. "
Le 8 août la Convention supprime toutes les académies, ce
qui oblige à nommer une Commission temporaire des poids et mesures.
Le 28 novembre Lavoisier est arrêté ; Borda, Laplace,
Coulomb, Brisson et Delambre protestent : ils sont exclus de la Commission.
Lavoisier, le plus grand chimiste du XVIIIe siècle, sera guillotiné le 8 mai
1794. La Commission cesse toute activité à la fin juin 1794.
Le 7 avril 1795, la loi entérine définitivement le nouveau
système métrique : mètre pour les longueurs, are pour les surfaces, stère
et litre pour les volumes, gramme pour les masses, et franc pour les monnaies.
La fabrication des anciennes mesures est interdite. Et, comme pour l’Euro en
fin d’année 2001, en fin d'année 1795, la France entière est obligée de passer
au système métrique.
Delambre et Méchain n'ont toujours pas terminé leurs mesures
du méridien. Fin octobre 1798 ils se rejoignent à Carcassonne. Cette fois le
mètre est égal à 0,513074 toises, et cette longueur est matérialisée par une
règle en platine. Le kilogramme, dont la mesure a été reprise par
Lefèvre-Gineau et Fabbroni, est de son côté défini par un cylindre de platine
et, en juin 1799, les deux étalons sont remis au garde des Archives de la
République - ils seront remplacés en 1889 par deux autres étalons beaucoup plus
précis en alliage platine/iridium qui sont conservés au pavillon de Breteuil, à
Sèvres.
Malgré la définition moderne de l’unité de longueur, et même
si le mètre n'a plus aujourd'hui pour référence internationale la règle en
platine iridié du pavillon de Breteuil, mais " la longueur du trajet
parcouru dans le vide par la lumière pendant 1/299 792 458 de seconde ",
la base de toute mesure scientifique reste néanmoins l'arc de méridien mesuré par
Delambre et Méchain.
Dans mon autre moins vieux
« Dictionnaire
Général des Sciences Théoriques et Appliquées »
par MM. Jules GAY et Louis MANGIN Docteurs es Sciences,
professeurs au lycée Louis Le Grand, 5e édition de 1905 voici ce
qu’il est écrit au sujet du kilogramme :
KILOGRAMME (Phys.). - Unité pratique de masse. Le
kilogramme-étalon en platine a été déposé aux archives le 4 messidor AN VII (23
juin 1799). Ce bloc de platine est resté jusqu'en 1889 l'étalon du kilogramme.
Depuis le 26 septembre 1889, le kilogramme international, est représenté par
son prototype déposé au Bureau international des poids et mesures, au Pavillon
de Breteuil, à Sèvres. Ce prototype est constitué par un cylindre en platine
iridié à 10%, dont la hauteur est égale au diamètre, et dont les arêtes sont
arrondies. La plupart des Etats ayant adhéré à la convention du mètre ont reçu
une ou plusieurs copies du kilogramme international.
Dans les différentes éditions du dictionnaire de l’Académie
Française, voilà ce qui est écrit au sujet du « mètre ».
Déjà, on peut voir que le mot « mètre » existait
bien avant qu’il soit employé comme unité de longueur et ceci est corroboré par
le Dictionnaire Littré et l’Encyclopédie Diderot et d’Alembert.
MÈTRE. s. m. Il se dit, dans la Versification grecque et dans la
Versification latine, d'un pied déterminé par la quantité, comme le dactyle, le
spondée, etc. Le dactyle est un mètre que l'on multiplie lorsqu'on veut
exprimer la légèreté, la rapidité. Il se dit aussi de la nature et du
nombre de pieds nécessaires à la formation de chaque genre de vers. On a
fait un traité sur les mètres employés par Horace. Le mètre du vers français de
dix syllabes est favorable au récit familier. Il y a une harmonie propre à
chaque mètre. Vers du même mètre. Changement de mètre.
Édition
de 1798, dans le supplément contenant les mots nouveaux en usage depuis la
révolution :
MÈTRE.
s. m. Unité principale des mesures républicaines. Le mètre est égal à la
dix-millionième partie de l'arc du méridien terrestre, compris entre le pôle
boréal et l'équateur, ce qui équivaut à-peu-près à trois pieds 11 lignes et
demie.
Édition
de 1835 :
MÉTRE, se dit encore de L'unité fondamentale des nouvelles mesures,
laquelle est égale à la dix-millionième partie de l'arc du méridien terrestre,
compris entre le pôle boréal et l'équateur, et à peu près équivalente à trois
pieds onze lignes et demie des anciennes mesures. Mètre carré. Mètre cube.
Le mètre est l'élément de toutes les autres mesures, et même des poids.
L’édition de
1878 donne exactement la même définition que celle de 1835
Édition de
1932-1935
MÉTRE se dit encore de la Longueur, à
la température de 0°, du prototype international, en platine, déposé au Bureau
international des Poids et Mesures, à Sèvres. Le mètre est l'unité
principale de longueur, il est sensiblement égal à la dix-millionième partie de
la distance du pôle à l'équateur. Mètre carré, Unité de surface équivalant
à un carré d'un mètre de côté. Mètre cube, Unité de volume équivalant à
un cube d'un mètre de côté. Se dit, par extension, de l'Instrument (règle, ruban
d'étoffe ou de métal, etc.) qui reproduit la longueur-type et permet de
mesurer.