8 novembre 1942. Opération "Torch"
J'arrive maintenant à un sujet délicat : le débarquement Anglo-US en AFN le 8 novembre 1942. On a souvent reproché à l'armée d'Afrique les combats qui l'opposèrent aux troupes de débarquement. Cet épisode ne peut faire oublier que cette même armée reprit le combat contre les Allemands et s'illustra en Tunisie, en Italie et en France.
Pour comprendre, autant que faire se peut, je crois qu' il faut remonter dans le temps, au mois de mai 1940.
A partir du 10 mai 1940, date du déclenchement de l'offensive allemande, la guerre jeta sur les routes des milliers de réfugiés venant de Belgique et du Nord de la France. Au fur et à mesure de l'avance allemande leur nombre s'accrut sans cesse, et atteignit environ huit millions dans la deuxième quinzaine de juin. Comme ils étaient mélangés à trois millions de soldats en déroute, ils étaient souvent, de ce fait, la cible des bombardements allemands. Ils étaient dépourvus de nourriture, de soins, de lieux d'hébergement. Ils ne pouvaient compter que sur les soldats et sur l'hospitalité des habitants des villages traversés. A condition que ceux-ci ne soient pas, eux aussi, sur le point de quitter leur maison.
Les militaires étaient, dans leur majorité, des appelés et des réservistes. Les Allemands avaient capturé 1,5 millions de soldats. Les combats avaient fait 100.000 morts.
Durant les années d'avant guerre les Français avaient été convaincus, par leurs politiciens, de leur invulnérabilité. N'avaient-ils pas battu les Allemands en 1918 ? Ne possédaient-ils pas la plus forte armée de monde ? N'étaient-ils pas protégés par leur fameuse " Ligne Maginot" ? .
Et voilà qu'en 45 jours toutes ces belles certitudes s'étaient écroulées….. Les Français étaient en état de choc. Ils ne demandaient plus qu'un chose : l'arrêt des hostilités et le retour à la maison.
A l'ouest de la France les Allemands étaient parvenus jusqu'à Royan. Côté Est ils étaient à 20 km de Valence.
Dans ces conditions que pouvait-on faire ? sinon demander un armistice. C'est ce que fit Pétain le 17 juin. L'armistice entra en vigueur le 25 juin 1940.
Le 3 juillet Churchill, qui craignait la livraison de la flotte française à L'Allemagne, donna l'ordre à sa flotte de détruire les navires qui étaient au mouillage à Mers El Kébir, le port militaire d'Oran. L'attaque fit 1200 morts.

Le 10 juillet l'assemblée donna les pleins pouvoirs à Pétain par 569 voix contre 80.
Dorénavant, à tort ou à raison, les Français firent, dans leur majorité, et pour plusieurs années, confiance à Pétain. Il y avait plusieurs raisons à cela :
1- Il avait mis fin aux hostilités.
2- Les anciens combattants, qui avaient maintenant 40 à 50 ans, lui étaient fidèles à cause de son action à Verdun en 1916.
3- Le coup de pouce final lui avait été donné par les 1200 morts de Mers El Kébir.
Certains objecteront que De Gaulle avait lancé son appel du 18 juin. Bien sur, mais les millions de militaires et civils qui étaient sur les routes de la débâcle n'en avaient rien entendu. Et, même s'ils avaient eu les moyens matériels de l'entendre, cet appel n'aurait eu aucun écho parce que De Gaulle était inconnu de la population. Population qui, par ailleurs, sortant du conflit, n'avait aucun désir de le prolonger plus longtemps, ici ou ailleurs.
Dans les mois qui suivirent l'armistice quelques centaines de Français se rallièrent à De Gaulle. Certains par conviction, d'autres suite à leur présence fortuite en Angleterre ( troupes retour de l'expédition de Norvège).
Par la suite les troupes de De Gaulle devinrent beaucoup plus consistantes et prirent le nom de Forces Françaises Libres (FFL).
Il faut reconnaître que De Gaulle a eu une prémonition des événements à venir dans les années qui allaient suivre. C'était un homme pétri de la grande Histoire et il avait tout de suite saisi qu'un jour les Américains interviendraient et que le rouleau compresseur de leur industrie et de leur armée balaieraient, avec l'aide de L'URSS, les armées allemandes. D'où la certitude qu'il avait d'être le seul à aller dans la bonne direction.
A cette même époque que devint l'armée française ?. Les appelés et réservistes furent démobilisés, sauf une partie de la classe 38. L'armée d'active, formée des militaires de carrière et des engagés, fut maintenue. Elle était à l'image de la population et faisait confiance à Pétain. La France avait été divisée en deux zones : zone occupée et zone libre, les unités de l'armée furent réparties entre la zone libre, l'Afrique du Nord (AFN), l'Afrique Occidentale Française (AOF), le Liban, la Syrie, l'Indochine.
Outre l'aviation il y avait en Afrique du Nord des régiments de tirailleurs algériens, tunisiens et marocains. Des Tabors marocains, des régiments de spahis et de chasseurs d'Afrique. Il y avait aussi la marine à Oran, Alger, Tunis et Casablanca. Le gros de la flotte était resté à Toulon . Les effectifs de l'armée d'Afrique atteignaient, je crois, environ 200.000 hommes.
Les officiers durent prêter serment de fidélité à Pétain.
La France était, en principe, devenue un pays neutre. Cependant en AFN nous savions, implicitement, que l'armée d'Afrique devrait intervenir en cas de tentative de débarquement anglais ou allemand au Maghreb. Les deux belligérants pouvaient avoir des velléités d'occuper la région puisque leurs armées étaient déjà aux prises, plus à l'Est, dans le désert de Libye.
La population française et l'armée d'AFN étaient, comme en métropole, assez remontées contre les Anglais.
Que savait-on, au début de novembre 1942, des événements qui se préparaient ?.
D'après certains historiens les Allemands pensaient, depuis plusieurs mois, suite à certains indices, que, peut-être, les Anglo-Saxons tenteraient un débarquement dans la région, mais ils n'avaient aucune certitude quant à la date et aux lieux ou se déroulerait l'opération.
En fait, fin octobre 42, deux convois étaient en route : l'un venant d'Angleterre et l'autre des Etats-Unis. Ils avaient quitté leurs ports d'embarquement respectifs vers le 23 octobre. Curieusement, ces convois, qui naviguèrent 15 jours avant d'atteindre leur destination, ne furent pas inquiétés par les meutes de sous-marins allemands qui, pourtant, infestaient l'Atlantique. Cela semble indiquer que les Allemands ignoraient la présence de ces convois ou bien qu'ils ont fait une erreur tactique. Si les Allemands ignoraient la présence de ces navires que dire des Français ?. Il semble que l'état major français d'AFN, n'ait détecté ces convois que vers le 5 novembre alors qu'ils se préparaient à franchir le détroit de Gibraltar.
Hormis l'état major, que savait la troupe : rien !. Je raconterai dans un récit intitulé "Visiteurs d'un autre monde" notre aventure du 8 novembre 1942. Je raconterai comment nous avons été envoyés, le 7 au soir, dans les tranchées de défense de la base et, comment, le 8 au matin, nous avons été attaqués par des chasseurs de fabrication anglaise frappés d'une étoile blanche (au lieu des habituelles cocardes). A cette époque nous ne savions pas ce que signifiait cette étoile. Nous ne l'avons su que le lendemain lorsque nous avons été entourés par des chars portant le même insigne. C'est au cours du dialogue en espagnol entre un chef de char et un de nos collègues pieds-noirs que nous avons appris avoir affaire à des Américains.
Quelle ne fut pas notre stupéfaction ?. Parmi nous, personne, en 1942, n'avait envisagé l'hypothèse d'un débarquement américain an AFN. Nous savions que les Américains étaient venus en France en 1917 mais le temps avait passé…. et l'Amérique, en 1942, c'était si loin…
Autre chose achevait de brouiller les cartes. Les Américains utilisaient, pour l'attaque de La Sénia, des avions de fabrication anglaise portant, comme nous l'avons vu, des étoiles blanches. De leur côté les Anglais utilisaient leurs propres avions mais, eux aussi, frappés d'une étoile blanche. Les Anglais, connaissant les sentiments des Français, à leur égard, depuis l'affaire de Mers El Kébir, avaient préféré se faire passer pour des Américains.
Nous savons maintenant que le 21 octobre 42, soit 18 jours avant les événements, un sous-marin avait débarqué, pour quelques heures, à Cherchel (100 km d'Alger), le général américain Clark accompagné d'autres officiers et de conseillés. Clark venait s'entretenir avec quelques officiers et civils algérois qui auraient la charge de faciliter le futur débarquement . Cette rencontre fut, bien entendu, gardée secrète. Clark n'avait pas donné à ses interlocuteurs de date précise quant au déclenchement de l'opération. Ceux-ci pensaient que celle-ci aurait lieu au printemps 43, alors que les troupes étaient déjà en train de monter à bord des navires.
Quoi qu'il en soit il n'y eu pas, à Alger, lors du débarquement, de combats importants. A Oran et Casablanca les choses furent très différentes……
A l'annonce de l'opération alliée les Allemands envahirent la zone libre le 11 novembre et débarquèrent en Tunisie. A Toulon le flotte française saborda ses navires. 100 de ceux-ci furent coulés dans le port et la rade, leurs officiers et équipages refusant de les livrer aux Allemands ou aux Anglais.
|