Un zéro de conduite.
A Rochefort, parmi les moments privilégiés de notre vie de caserne il y avait ceux de la distribution des treillis et sous-vêtements propres.
Les magasiniers formaient un groupe à part, une sorte d'oligarchie qui régnait sur nos chemises et nos caleçons. Il s'agissait d'appelés du contingent qui revendiquaient la qualité de " quillards " et étaient très en cheville avec leurs collègues des cuisines qui leur fournissaient moult quantités d'un vin appelé communément " picrate ".
Notre préposé à la distribution des vêtements venait dans la chambrée et jetait à terre, en vrac, ici un tas de chemises, là un tas de caleçons, là encore un tas de pantalons, etc. Comme il n'y avait aucune certitude quant au nombre de pièces déposées nous engagions entre nous une mêlée dont le résultat était très aléatoire. L'un d'entre nous était souvent pénalisé.. Alors il devait aller affronter le courroux des magasiniers qui le tenaient pour suspect d'avoir subtilisé " un matériel appartenant à l'état et payé par les contribuables ". Ces "quillards" étaient, apparemment, très attachés à la sauvegarde du matériel de l'armée.
Pour en revenir à nos problèmes vestimentaires disons qu'un jour, luttant pour la possession d'un caleçon, je saisis ce qui me semblait en être une jambe. J'ignorais que dans le même temps un camarade s'emparait de l'autre jambe du même vêtement. A la fin du corps à corps il apparut que chacun de nous deux ne disposait que d'un demi caleçon.
A la perspective d'avoir à répondre, devant ceux que nous appelions les "Gardes-mites", de l'accusation de vandalisme vis à vis " d'un matériel appartenant à l'état, etc. " nous avons décidé, d'un commun accord, de ne pas ébruiter l'affaire.
Le caleçon réglementaire de l'armée française était un vêtement en toile, de forme tronconique, ayant vaguement l'apparence d'un fusil à deux coups. Le bas de chacune des jambes était fendu, afin de s'adapter aux mollets du porteur, et muni de cordons de serrage. Le modèle datait, peut être, de la fin du 19ème siècle ?. Il était évident qu'un fringant "aviateur" qui, pensant bénéficier d'une bonne fortune auprès de la gent féminine, se serait présenté à sa présumée conquête dans cet accoutrement aurait essuyé à coup sur un cuisant échec. Un tel vêtement était, comme l'écriraient maintenant les magazines féminins, "un tue l'amour".
Quelques temps après l'avatar du caleçon démembré nous fûmes invités à nous présenter à une revue dite « d'habillement ». Une telle revue avait lieu dans la cour des casernements. Il fallait s'équiper de pieds en cap avec la tenue, les chaussures, les sous vêtements réglementaires. Lorsque ces conditions étaient réunies nous devions, au coup de sifflet de l'adjudant-chef Tartemolle filer dare dare dans la cour et nous mettre en rangs. Nous nous disposions sur trois rangs (chacun d'eux constituant une escouade et les trois escouades une section) faisant face à l'adjudant chef. Celui ci passait lentement devant et derrière chaque rangée et examinait en détail la tenue de chacun d'entre nous en s'assurant qu'elle était en conformité avec la réglementation en vigueur.
Je bénéficiais, dans mon escouade, d'une position avantageuse. Etant le plus grand j'étais, bien entendu, "homme de base", c'est à dire celui qui était placé en tête de l'escouade. De ce fait j'avais le privilège d'être, éventuellement, le premier à subir les foudres de Tartemolle. Ce jour là, ne portant sur moi qu'un demi-caleçon, j'étais particulièrement anxieux lorsque le regard de l'adjudant-chef se posa sur moi. Finalement tout paraissait se dérouler sous les meilleurs auspices lorsque, tout à coup, Tartemolle m'intima l'ordre de relever le bas de mon pantalon. J'étais atterré à l'idée d'avoir à montrer la ruine de mon sous vêtement mais je dus pourtant m'exécuter.
L'adjudant chef voulait seulement s'assurer du bon état de mes chaussettes mais il remarqua, pour mon malheur, que seule ma jambe droite était caleçonnée…….Il me dit calmement : "où est la jambe gauche ?". Complètement paniqué je lui répondis : " C'est la Face Froide qui l'a prise !" ( La "Face Froide" était le surnom de Dumas, le camarade qui était en possession de la jambe manquante). Je me repris aussitôt : " C'est Dumas qui l'a prise ! ". Il alla trouver celui ci et revint vers moi en disant : " Vous viendrez tous les deux me voir à mon bureau après la revue". Il me dit calmement: « Ou est la jambe gauche? ». Complètement paniqué je lui répondis: « C'est La Face Froide qui l'a prise ! » (La Face Froide était le surnom de Dumas, le camarade qui était en possession de la jambe manquante). Je me repris aussitôt : " C'est Dumas qui l'a prise ! ". Il alla trouver celui ci et revint vers moi en disant : " Vous viendrez tous les deux me voir à mon bureau après la revue".
Nous faisions piètre figure lorsque nous sommes entrés dans le bureau de l'adjudant-chef. Mais Tartemolle était un homme de sang froid ; après une admonestation il nous dit : "Je vais vous donner un bon que vous présenterez au magasinier afin de vous faire attribuer à chacun un caleçon. " puis, selon son habitude il ajouta " A partir d'aujourd'hui vous me ferez huit jours de corvée de pilotage ".
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