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Le coin à Dominique la toupie |
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La toupie, ancêtre du gyroscope
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En 1851, Léon Foucault montre que le plan dans lequel oscille un pendule
reste fixe par rapport à un référentiel galiléen et qu'il constitue donc
un repère pouvant être utilisé pour mettre en évidence la rotation de la
Terre, en suspendant un pendule de 60 mètres de longueur sous la coupole
du Panthéon.
En 1852, il inventa un appareillage mécanique susceptible de mettre en
évidence certains effets de la rotation de la Terre, et qu'il baptisa
pour cette raison gyroscope. Il montre que l'axe de rotation d'un
gyroscope garde une direction fixe par rapport à un référentiel
galiléen; cette propriété est couramment utilisée dans les compas
gyroscopiques. L'élément principal en était le rotor, corps solide de
révolution tournant à grande vitesse autour de son axe, ce dernier
conservant une certaine liberté cinématique, fonction de l'expérience à
réaliser.
À l'heure actuelle, on appelle gyroscope tout appareil comprenant une
toupie (ou rotor) tournant à grande vitesse autour de son axe, ce
dernier possédant, suivant les cas, un ou deux degrés de liberté par
rapport au boîtier de l'appareil.
À la fin du XIXe siècle, Henry Bessemer (1875) puis Ernst Otto Schlick
tentaient de lutter contre le roulis des navires en utilisant des
gyroscopes de grandes dimensions; ces essais aboutirent au stabilisateur
Sperry (1923), qui fut installé avec succès sur un paquebot de 41 000
tonnes. Lourds et encombrants, ces systèmes seront abandonnés au profit
de pilotes automatiques, dans lesquels le rôle du gyroscope est limité à
la détection du mouvement angulaire du véhicule, la stabilisation étant
obtenue par des nageoires asservies. Cependant, à l'heure actuelle,
l'effet stabilisateur des gyroscopes est exploité dans des dispositifs
mettant en jeu de faibles inerties (plates-formes stabilisées,
satellites artificiels, etc.).
Au début du XXe siècle, certains industriels (Hermann Anschütz, Elmer
Ambrose Sperry) appliquèrent les propriétés des gyroscopes à la
recherche du nord géographique à bord des navires. Ainsi apparurent les
compas gyroscopiques (ou gyrocompas), dont le fonctionnement s'est
progressivement amélioré, pour aboutir aux appareillages actuels; leur
précision est de l'ordre de quelques dixièmes de degré.
Par ailleurs, les progrès de l'aviation ont rapidement montré la
nécessité de repères angulaires capables d'un fonctionnement autonome.
Les gyroscopes furent à nouveau mis à contribution; il en est résulté
l'apparition d'appareils simples et ingénieux: le directionnel et
l'horizon artificiel, qui sont encore largement utilisés. Cependant, à
bord des avions importants, tels le Concorde, le Boeing 747, l'Airbus
A340, de nombreux avions de combat, les lanceurs spatiaux, les
accélérations et les vitesses atteintes perturbent leur fonctionnement;
il y a lieu, dans ce cas, pour obtenir une référence angulaire correcte,
d'installer une centrale de navigation inertielle à plate-forme gyro
stabilisée (ou à composants liés).
Ces systèmes ont été décrits dans deux contributions précédentes : " Les
Centrales Inertielles " et " Les Centrales Inertielles à Gyro Laser ",
présentes dans "mon coin" de la FAQ (3). Voir également la contribution
sur la Force Centrifuge.
Tous ces systèmes sont basés sur le phénomène gyroscopique découvert par
Foucault et dont les bases mêmes sont les propriétés de la toupie.
Bien que la toupie, très vieux jouet ne soit aujourd'hui guère utilisé,
on peut encore en trouver quelques variantes lumineuses ou chantantes
dans les magasins, mais il faut chiner chez un antiquaire pour découvrir
les vraies toupies qu'on lançait avec une ficelle ou qu'on entretenait
avec un fouet. Jeunes ou vieilles, elles ont toutefois deux
caractéristiques universelles : elles ne tiennent debout que si elles
sont lancées à bonne vitesse, et elles perdent cette vitesse en peu de
temps, ce qui en limite beaucoup l'observation scientifique. Car cet
objet simple est riche d'enseignements ; Pourquoi au repos est-elle
incapable de tenir en équilibre sur sa pointe, alors qu'il suffit de la
lancer pour que la rotation la rende stable ?
Il est difficile de répondre à cette question, la stabilité des toupies
relevant de la mécanique générale à un niveau qui n'a rien d'élémentaire
et les réactions paradoxales de ces engins à des sollicitations
latérales demandent des explications plus ardues encore. Néanmoins, ce
jouet très simple mérite une attention réelle car il est exactement
semblable au gyroscope dont les utilisations scientifiques et techniques
sont innombrables.
Détaillons les effets gyroscopiques propres à toutes les toupies et,
d'une manière générale, à tous les corps en rotation.
Ces effets sont étranges, ou du moins nous apparaissent comme tels,
parce que la vie quotidienne ne comporte jamais de rotations rapides :
nous restons habitués aux mouvements en ligne droite, avec quelques
virages de temps à autre.
Une toupie assez dense lancée à grande vitesse permet de mettre en
évidence ces trois effets gyroscopiques :
- La permanence de l'axe de rotation dans une direction fixe,
- La précession (1),
- La nutation (2).
Le premier effet, le plus utile aussi, nécessite un rotor monté dans un
double cardan pour être facilement observable. On vérifie alors sans
peine que, quelle que soit l'orientation donnée au cadre, l'axe de
rotation pointe toujours dans la même direction. Celle-ci reste à
préciser par rapport à un système de référence qu'on pourra considérer
comme fixe. Or, si on prend les murs de la salle où tourne le gyroscope
comme référence, on constate que l'axe dérive lentement, ce qui semble
contredire le premier principe. En réalité, il n'en est rien : c'est la
Terre qui dérive, et donc la pièce avec elle. L'expérience doit donc
être interprétée en sens inverse : l'axe reste bien fixe et ce sont les
murs qui bougent. Le seul système de référence par rapport auquel cette
direction reste constante est constitué par les étoiles lointaines.
Celles-ci n'ont en effet que des mouvements infiniment lents à notre
échelle de temps et d'espace, ce qui a conduit à les considérer comme
fixes. Or toute navigation, que ce soit sur mer, dans l'air ou dans
l'espace, se fait par repérage sur les étoiles (à condition qu'elles
soient visibles).
On conçoit l'intérêt d'un système qui permet de conserver la direction
de ces étoiles fixes sans avoir besoin de les observer, et donc de se
guider sous les océans, dans le brouillard, en plein jour, donc en
toutes circonstances.
La toupie lancée à grande vitesse présente là un avantage énorme parce
que la rotation lui confère une énergie potentielle considérable : pour
déplacer l'axe de sa direction initiale, il faut apporter une énergie
supplémentaire très supérieure à celle qui serait nécessaire pour
déplacer le même axe quand la toupie est immobile. Dans le cas de la
toupie, le moment cinétique ne peut subir une modification sensible que
si la sollicitation extérieure est élevée et durable : sans un effort
appréciable et prolongé, il n'y aura pas de changement visible dans la
direction de l'axe. Or, avec un gyroscope bien isolé dans sa double
suspension à cardans, les seuls couples parasites sont ceux qui sont dus
aux roulements des cages formant le support.
Comme ces roulements sont particulièrement soignés, les frottements sont
extrêmement faibles comparés à la valeur du moment cinétique, et la
perturbation qu'ils apportent peut mettre plusieurs jours avant de
devenir appréciable. Ajoutons, et cela constitue la première
caractéristique bizarre des toupies, que l'axe ne se déplace pas dans le
sens de la sollicitation extérieure, mais à angle droit par rapport à
celle-ci.
Lorsqu'on pousse une chaise vers l'avant, elle bascule vers l'avant ;
elle ne part ni à droite ni à gauche ; c'est pourtant ce qui se produit
avec une toupie : si on pousse l'axe de rotation en avant ou en arrière,
on a la surprise de le voir se déplacer vers la droite ou vers la gauche
selon le sens de rotation du rotor. Ce curieux processus, appelé
précession, est très difficile à suivre dans son principe car on ne peut
en donner une interprétation qui soit à la fois simple, intuitive, et
correcte. Disons simplement que ce couple de basculement,
perpendiculaire à la sollicitation, résulte des forces d'inertie liées à
l'accélération complémentaire que subit tout point d'un corps en
rotation soumis à une force extérieure. Les férus de cinématique
noteront aussi que ce couple peut être expliqué par les variations de la
vitesse relative et de la vitesse d'entraînement en tout point de la
toupie quand on veut déplacer son axe.
Par ailleurs, toute masse lancée à grande vitesse autour d'un axe
acquiert une énergie cinétique élevée, et donc un moment cinétique lui
aussi élevé. Dans ces conditions, pour changer son orientation, il faut
modifier son énergie cinétique, et donc mettre en jeu une force non
négligeable - alors que, si la masse est immobile, un simple
effleurement suffit à la déplacer. De ce fait, l'axe de rotation d'une
toupie tend à garder une direction fixe.
Ce mouvement de précession, peut être expliqué *simplement* en montrant
qu'en appuyant sur le bout de l'axe, on crée en réalité un couple qui
tend, à faire basculer la toupie d'avant en arrière, donc autour d'une
droite fictive orientée de droite à gauche. A ce moment, l'axe de la
toupie tend à se rapprocher de cette ligne - qui constitue un deuxième
axe de rotation - et va donc de gauche à droite. Mentionnons enfin qu'un
choc latéral donné à la toupie modifie aussi l'axe de rotation qui se
met à décrire un cône, dit cône de nutation. Si une force extérieure
ajoute un mouvement de précession, l'axe du rotor décrit une trajectoire
compliquée, semblant dessiner des boucles et des festons le long d'un
cercle.
En réalité, l'axe de la toupie ne reste jamais vraiment vertical. Dès
qu'on la relâche après l'avoir lancée, elle commence à pencher, mais ce
mouvement de chute est à peine amorcé qu'il se poursuit sur le côté,
entraînant l'axe dans une rotation autour de la verticale. En un sens,
la toupie tombe en rond et décrit lentement un cône : c'est le mouvement
de précession dû à la force de pesanteur, laquelle tendrait à faire
tomber la toupie comme tombe un crayon mis en équilibre sur la pointe.
Mais la rotation va empêcher cette chute de se poursuivre : tout point
du disque qui commence à descendre se trouve l'instant d'après entraîné
vers le haut par cette rotation puisque le disque s'est incliné. Il en
résulte une force qui tire le disque tout entier de côté ; comme cet
effet agit en continu, ce mouvement latéral se décale sans cesse autour
de la verticale et la chute se transforme en un lent mouvement tournant.
Si de plus on donne un léger coup sur l'axe à ce moment-là, celui-ci se
met à osciller tout en décrivant un cercle autour de la verticale ; il
dessine alors un cône festonné - ce que donnerait un cône fait en tôle
ondulée. C'est le mouvement de nutation qui se superpose au mouvement de
précession.
Ces deux effets - précession et nutation - n'affectent pas seulement la
petite toupie, mais aussi ces grosses toupies que sont les planètes et
leurs satellites :
- Différences entre l'année sidérale (365,25636 jours et varie d'1/100
de seconde par siècle) et l'année des saisons, pour des raisons
complexes de déplacement des plans fondamentaux - les coordonnées
célestes des étoiles varient lentement par suite des déplacements de
l'équateur céleste et de l'écliptique (phénomènes gyroscopiques de
précession et de nutation).
- Précession des équinoxes dues au lent déplacement de l'axe des pôles
de la terre. L'axe de rotation de la Terre n'a pas toujours pointé vers
l'étoile polaire, c'est connu depuis l'Antiquité. Notre planète est
comme une toupie : son axe dessine un cercle sur la voûte céleste, tout
en conservant un angle de 23,3° avec le plan de l'orbite, à de petites
variations près de 1,3°. Ceci vient de ce que la Terre n'est pas ronde,
mais légèrement enflée à l'équateur : les attractions exercées sur ce "
bourrelet " par le Soleil et la Lune engendrent cette rotation - ou
précession - de l'axe, qui existe aussi chez les autres planètes.
- L'axe de rotation de la Terre décrit, en 25 800 ans environ, sous
l'action des forces d'attraction de la Lune et du Soleil, un cône dont
le demi-angle au sommet est de 23° 26'. C'est le phénomène général de la
précession. Ainsi, la direction du pôle Nord céleste, actuellement
voisine de celle de l'étoile Polaire, en était éloignée de 9° il y a 2
000 ans. Elle sera proche de celle de l'étoile Véga dans 11 000 ans.
Le premier effet des gyroscopes est la permanence de l'axe de rotation
de la toupie dans une direction donnée ce qui permet de les utiliser
comme indicateur de direction, encore faut-il que leur dérive soit la
plus faible possible. Le problème essentiel consiste à suspendre la
toupie en minimisant l'incertitude du couple appliqué sur l'axe de
rotation.
L'évolution de la technologie et de la technique a fait apparaître
successivement de multiples réalisations parmi lesquelles on peut citer
:
- la suspension par cardan, équipée de roulements à billes de haute
précision ; en laboratoire, la dérive de ce type d'appareils est de
l'ordre de quelques degrés par heure; ce type de suspension est utilisé
dans les directionnels et les horizons gyroscopiques.
- la suspension par flottaison ; la poussée d'Archimède, agissant sur
les anneaux de cardan et sur un carter étanche renfermant la toupie,
soulage les paliers, qui peuvent alors être équipés d'ensembles
pivot-rubis; les performances atteignent quelques centièmes de degré par
heure.
- la suspension hydrodynamique; la rotation de la toupie, agissant sur
le gaz ambiant, provoque des surpressions équilibrant son poids; en
fonctionnement, la toupie n'est soumise à aucune usure mécanique
(performances de un à quelques centièmes de degré par heure).
- la suspension électrique; la toupie, sphérique, est placée entre des
électrodes, soumises à des potentiels électriques la maintenant en
"lévitation" (performances meilleures que 10^-4 degré par heure).
- La suspension élastique ; la toupie est reliée au boîtier par des
éléments élastiques dont la raideur et l'inertie doivent vérifier une
relation, dans laquelle entre la vitesse de rotation de la toupie; le
respect de cette condition annule le couple transmis à la toupie; la
précision est de un à quelques millièmes de degré par heure.
Tous ces appareils sont équipés de détecteurs d'écart, permettant de
mesurer, à chaque instant, la position angulaire relative de l'axe de la
toupie par rapport au boîtier. Ils comportent souvent, de plus, des
"moteurs-couples", permettant d'appliquer à la toupie des couples
connus, dans le but de compenser certains couples perturbateurs ou
encore d'obtenir de la toupie une précession déterminée.
Ce que l'on appelle "Gyromètre" sont des gyroscopes à un degré de
liberté. Ils sont essentiellement constitués:
- d'une toupie (t) tournant autour d'un axe (D) ; l'entraînement est en
général effectué par un moteur électrique; l'ordre de grandeur du moment
cinétique obtenu est de 10^-3 à 10^-1 kg.m2/s,
- d'un élément de cardan (A) (anneau ou carter) reliant (D) au boîtier
de l'appareil, par l'intermédiaire d'un axe de sortie (S), l'axe du
cardan (S) est perpendiculaire à l'axe de rotation (D) de la toupie,
- d'un détecteur d'écart fournissant un signal électrique représentant
la position angulaire Theta de l'axe (D) par rapport au boîtier,
- d'un moteur-couple permettant d'appliquer un couple au cardan (A) en
prenant appui sur le boîtier de l'appareil.
De plus, ils comportent éventuellement:
- un liquide amortisseur dans lequel baigne un carter étanche contenant
la toupie; il en résulte l'application à ce carter d'un couple
"visqueux" ; la flottaison ainsi obtenue permet de soulager la liaison
boîtier-carter, qui peut alors être constituée par des ensembles
pivot-rubis;
- un rappel élastique, dispositif mécanique ou électromécanique appliqué
au cardan, en prenant appui sur le boîtier.
Les domaines de mesure de ces appareils (gyromètres) dont le rappel
élastique est souvent dû à un ou plusieurs ressorts, sont utilisés pour
le pilotage automatique des avions, des fusées, des navires. Voir
l'explication de fonctionnement dans la contribution : " Les Centrales
Inertielles " de mon coin de la FAQ (3).
Pour en arriver, au sommet de la technologie actuelle, les gyro laser
dont l'explication est donnée dans la contribution : "Les centrales à
Gyro Laser" de mon coin de la FAQ (3).
(1)Précession, nom féminin.
Physique : Mouvement de précession : mouvement que prend l'axe d'un
corps en rotation, lorsque la somme des forces qui s'exercent sur cet
axe, perpendiculairement à lui, n'est pas nulle.
Astronomie. Précession des équinoxes: déplacement du point vernal dû à
la lente rotation (un tour en 26000 ans environ) de l'axe terrestre.
(2)Nutation, nom féminin, du latin nutatio "balancement".
Physique : Mouvement périodique qui anime l'axe de rotation d'un corps
et qui se superpose en général à un mouvement de précession. En
l'absence de nutation, un point quelconque de l'axe décrit un cercle; la
nutation consiste en une sorte de tremblement du point au voisinage du
cercle.
Astronomie : Oscillation de l'équateur terrestre due à l'action
gravifique de la Lune et du Soleil. Le terme principal de la nutation a
été découvert par Bradley en 1747. Il vaut 18' et sa période est égale à
18 ans et 8 mois.
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