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Le coin à Dominique le vélo |
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Comment ça tient, un vélo ?
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Si l'on peut facilement mettre en évidence
l'effet gyroscopique avec une roue de vélo, est-ce cet effet qui permet
à un cycliste de tenir en équilibre ?
Comment ça tient un vélo ?
L'enfant qui apprend à monter à vélo s'étonne que cet engin reste debout
quand il roule, mais il n'est pas le seul ; le physicien aussi qui
cherche les raisons de cet équilibre.
Beaucoup plus tard, l'enfant se posera peut-être cette question :
pourquoi la bicyclette tient-elle debout quand on roule, alors qu'elle
tombe quand on s'arrête ?
A l'origine, le vélo a été construit empiriquement, sans la moindre
étude théorique des forces mises en jeu. C'est par tâtonnements que les
premiers artisans ont réussi à bâtir une machine stable, et ce dessin a
été repris par leurs successeurs sans modification majeure. Pourtant, un
homme vu de dos sur son vélo a tout à fait l'apparence d'un gros crayon
posé debout sur la pointe. L'expérience prouve que le crayon tombe, et
pas le cycliste.
Pour un chercheur, il y avait là un paradoxe qu'il convenait
d'expliquer. La première idée proposée fut celle de la stabilité
gyroscopique, qui s'appliquait déjà au cerceau ou à une pièce de monnaie
qu'on fait rouler sur la table : dès que la pièce penche d'un côté, elle
infléchit sa trajectoire et amorce un virage. La force centrifuge tend
alors à la redresser et arrête le mouvement de chute.
La force centrifuge, alliée des virages
Cet effet joue aussi sur la roue avant du vélo, qui, en rotation,
constitue un gyroscope dont l'axe est parallèle au sol. Quand le vélo a
tendance à tomber - ce qui incline cet axe sur l'horizontale -, le
couple de réaction gyroscopique qui apparaît est perpendiculaire à cette
sollicitation, donc vertical. Il tend à faire pivoter la fourche du côté
où penche l'engin, lequel amorce ainsi un virage, et on retombe sur le
cas du cerceau : la force centrifuge engendrée par ce mouvement tournant
s'oppose à la chute.
La chasse, clef de la stabilité
Pour qu'un vélo soit raisonnablement stable, il faut que le prolongement
de l'axe de la fourche coupe le sol devant le point de contact du pneu.
L'écart entre ces deux points, appelé chasse, est alors positif. Si
l'axe coupe le sol derrière le pneu, la chasse devient négative et le
vélo perd toute stabilité.
Mais, en pratique, les forces gyroscopiques ne sont appréciables qu'avec
une roue massive tournant très vite, ce qui n'est pas le cas de la
bicyclette. L'ingénieur anglais David Jones construisit il y a une
quarantaine d'années un vélo dont la roue avant était doublée d'une roue
de même masse tournant en sens contraire. Étant opposés, les deux
couples gyroscopiques s'annulaient : cette bicyclette s'avéra pourtant
aussi stable qu'une machine normale.
Cela prouvait que l'effet gyroscopique - qui joue sans doute un rôle
quand on lance le vélo à vide pour voir combien de temps il restera
debout avant de tomber - est négligeable quand un cycliste s'assied sur
la selle : la masse totale est alors trop importante. Il fallait donc
chercher ailleurs la force qui assure la stabilité de l'engin. Une
première voie consista à examiner de plus près l'équilibre statique du
vélo.
A l'arrêt, bien sûr, une bicyclette ne tient pas debout et tombe sur le
côté. Mais tout le monde a pu constater que, si on la tient par la
selle, il suffit de la pencher d'un côté ou de l'autre pour faire
pivoter la roue avant, comme si quelque force invisible manoeuvrait le
guidon. Pour la même raison, avec un peu d'entraînement, on peut rouler
en gardant les mains dans les poches : il suffit d'incliner le corps à
droite ou à gauche pour virer dans la direction voulue.
Cet effet, purement statique puisqu'il se produit même à l'arrêt, est dû
à l'inclinaison de la fourche : si son axe touche le sol devant le point
de contact du pneu, le guidon tourne à droite (ou à gauche) quand on
incline le cadre vers la droite (ou la gauche). En marche, la machine
entame alors un virage dans le sens de l'inclinaison, et la force
centrifuge vient s'opposer à la chute. De surcroît, la rotation de la
fourche minimise l'abaissement du centre de gravité et tend à rétablir
l'équilibre.
Mais, si l'axe de la fourche touche le sol derrière le point de contact
du pneu, le guidon tourne à gauche quand on incline le cadre vers la
droite, et vice-versa, ce qui abaisse le centre de gravité de l'ensemble
et le déséquilibre. En marche, une inclinaison vers la gauche va se
traduire par un virage à droite et la force centrifuge amplifie la chute
: un tel vélo est à peu près impossible à diriger.
C'est donc la géométrie du cadre et le sens du couple pesanteur/force de
réaction du pneu agissant sur l'axe de la fourche qui conditionnent la
stabilité de la bicyclette. Cette stabilité est-elle expliquée par les
lois de la mécanique ? Pas du tout : on peut aussi pédaler sur un tapis
roulant ou sur des rouleaux du genre home-trainer. Or, il ne s'exerce
alors aucune force centrifuge pour redresser la situation, puisque le
vélo est immobile - ou du moins n'avance pas, bien qu'il puisse aller
sur place de droite à gauche.
L'avènement du modélisme radiocommandé a incité de nombreux amateurs à
fabriquer des motos calquées sur les vraies machines : elles tombaient
tout le temps. Pour qu'elles restent debout, il fallut recourir à une
configuration qui n'a plus rien à voir avec l'original : au lieu de
pivoter autour d'un axe proche de la verticale, comme sur une fourche
classique, la roue avant bascule d'un côté ou de l'autre autour d'un axe
voisin de l'horizontale. De plus, les petites roues des modèles réduits
tournent très vite, et la stabilisation par effet gyroscopique joue un
rôle important. Dans cette configuration, on obtient des modèles réduits
relativement stables, à condition que la piste soit parfaitement lisse.
Impossible de simuler la moto de cross sur terrain accidenté, ce qui
prouve qu'un engin à deux roues n'a pas d'équilibre intrinsèque.
Pour comprendre par quel miracle il tient quand même debout, il faut
considérer toutes les forces mises en jeu : non seulement le couple de
redressement de la fourche et la force centrifuge, mais aussi, et
surtout, les forces exercées par le cycliste lui-même.
L'homme, comme tous les animaux, est très sensible aux oscillations de
ce qu'il a sous les pieds ou, dans le cas du vélo, sous les fesses.
Percevant presque d'instinct que le vélo commence à tomber d'un côté, il
tourne le guidon du même côté, ce qui ramène les points d'appui (les
pneus) sous lui (pour être précis, sous son centre de gravité). Il est
aidé dans cette manoeuvre par la force centrifuge - aide d'autant plus
efficace que l'inclinaison du cadre a déjà orienté le guidon du bon
côté.
La bicyclette ne connaÎt pas la ligne droite
Mais aucun cycliste ne pourrait garder l'équilibre en roulant
strictement en ligne droite. On le vérifie sans peine en essayant de
rester sur la ligne blanche qui partage la route ou, plus difficile
encore, en tentant de rouler sur un rail de chemin de fer.
Mathématiquement, la stabilité exige au moins trois points d'appui. Or,
le vélo n'en a que deux : il est fatalement instable. Certes, le couple
de pivotement de la fourche tend à rétablir l'équilibre à la moindre
inclinaison du cadre, mais ce n'est qu'une tendance : s'il n'a pas un
cycliste sur la selle, le vélo finit toujours par tomber.
C'est donc le cycliste lui-même qui, après avoir acquis les réflexes
nécessaires, assure en permanence la stabilité de l'engin : une légère
flexion des reins pour transférer le poids de côté, un peu plus d'appui
sur une jambe pour se redresser, une brève pression sur le guidon pour
revenir en ligne. Et cela en continu, car le cadre ne cesse de pencher
imperceptiblement d'un côté ou de l'autre, tout comme un bâton qu'on
fait tenir debout dans le creux de la main ou sur le bout du doigt. En
fait, tout cycliste est un équilibriste, sur un engin qui, du point de
vue scientifique, n'est au mieux que métastable (1).
(1) métastable adjectif
Chimie. Se dit d'un corps ou d'un état d'équilibre qui n'est pas stable,
mais dont la vitesse de décomposition ou d'évolution est très lente.
Physique. Se dit d'un équilibre qui peut être considéré comme instable
en première approximation. Par exemple, lorsqu'on calcule les forces
qu'un système exerce sur un corps, il arrive qu'on néglige la
perturbation que le corps introduit lui-même dans le système. On trouve
ainsi, pour certaines positions du corps, des états d'équilibre
instables correspondant à des maxima d'énergie, alors qu'en réalité le
corps se trouve dans un minuscule puits de potentiel.
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