II y a aujourd'hui un peu plus de cent quatre-vingt ans, le Danois
Christian Oersted découvrait l'existence du champ magnétique créé par un
courant électrique. Peu après, l'Anglais Michael Faraday mettait en
évidence le phénomène réciproque : une variation de champ magnétique
induit un courant dans un conducteur.
Or, le magnétisme se caractérise essentiellement par des forces
d'attraction ou de répulsion, donc, en fait, par des mouvements. Du
coup, le courant électrique, se trouvant associé au magnétisme, devenait
lui aussi capable de créer des forces et des déplacements : l'invention
des moteurs électriques et des dispositifs électromécaniques allait
suivre les découvertes d'Oersted et de Faraday. Réciproquement, la
dynamo due à Gramme permettait de transformer le mouvement en courant
électrique.
Schématiquement, les deux processus sont simples à observer : si on pose
une boussole près d'un fil de fer et qu'on branche une pile sur le fil,
l'aiguille de la boussole se déplace ; le courant a donc créé un champ
magnétique autour du fil. On retire ensuite la pile et la boussole, et
on approche un aimant du fil : un courant y circule.
Dans le premier cas, nous avons pris un fil de fer ; il aurait aussi
bien pu être en cuivre, en zinc, en aluminium ou en mercure. Le
phénomène reste le même quelle que soit la nature du conducteur, qui
peut être solide, liquide - comme le mercure ou les électrolytes (sels
fondus ou solutions de sels, d'acides, de bases, dans l'eau ou dans
certains liquides isolants) -, ou même gazeux. Dans tous les cas, le
passage du courant s'accompagne de la création d'un champ magnétique.
D'une manière plus générale encore, le courant n'étant qu'un mouvement
de charges électriques dans un conducteur, tout déplacement de charges
crée du magnétisme : des électrons parcourant un tube à vide, des ions
(molécules chargées) mobiles dans un liquide ou un gaz engendrent un
champ magnétique. L'intensité de ce champ est d'autant plus grande que
les charges en mouvement sont plus nombreuses et plus rapides.
Réciproquement, toute variation de champ magnétique au voisinage d'un
conducteur engendre un courant. On peut difficilement parler de
mouvement d'un champ puisque celui-ci est immatériel ; mais si on le
considère comme un ensemble de lignes de force, on peut dire que tout
déplacement de ces lignes par rapport à un conducteur y fait circuler un
courant. Et comme précédemment, si on veut généraliser, tout mouvement
des lignes de force déplace les charges électriques mobiles.
II faudrait toutefois se garder de pousser l'analogie plus loin, car,
malgré la similitude de certaines lois et de certains phénomènes, il
existe des différences importantes entre électricité et magnétisme.
Ainsi, de même que le champ électrique attire ou repousse les charges
selon leur signe, le champ magnétique attire ou repousse les corps
ferromagnétiques ; dans les deux cas, le mouvement se fait dans l'axe du
champ agissant.
Mais quand le champ magnétique agit sur une charge électrique mobile, le
déplacement ne se fait pas dans l'axe du champ, mais perpendiculairement
à lui - de là la règle des trois doigts d'Ampère (Champ, Chemin,
Courant).
II y a à cela une *raison importante* pour la compréhension des
phénomènes électromagnétiques : un aimant n'agit pas sur la charge
électrique elle-même, mais sur le champ magnétique qu'elle crée en se
déplaçant. Or, les champs de même signe se repoussent, et ceux de signe
contraire s'attirent.
Ces déplacements de charges ou de conducteurs sont donc des interactions
de champs magnétiques. L'action mécanique (puisqu'elle se traduit par un
mouvement) d'un champ magnétique sur un conducteur s'explique donc assez
bien. En revanche, nul ne sait pourquoi une charge électrique en
mouvement engendre un champ magnétique - ce qui n'empêche pas de mesurer
le phénomène avec une grande précision ni de l'utiliser dans une immense
variété de dispositifs, dont le plus courant est le moteur électrique.
En pratique, le courant induit par une variation de champ magnétique à
travers un conducteur a mené aux dynamos et aux alternateurs qui
produisent du courant ; le champ magnétique des courants, lui, a conduit
à tous les systèmes électromécaniques où il y a transformation de
l'électricité en mouvement. Il n'y a pas de réelle séparation entre les
deux classes d'appareils puisqu'ils sont réversibles : une dynamo
devient moteur si on lui envoie du courant, et réciproquement.
Dynamos et moteurs comptent parmi les outils universellement connus
mettant en jeu électricité et aimantation, ce sont des dispositifs
"solides", où les charges circulent dans des conducteurs métalliques
faciles à produire et à usiner. Mais il existe aussi des dispositifs
"liquides" et même "gazeux" où les charges circulent dans des fluides.
Le cas le plus remarquable est celui de la magnéto-hydrodynamique (MHD),
qui reste,même aujourd'hui, du domaine expérimental. Bien qu'on ne
puisse la classer dans l'électromécanique, puisqu'il n'y a justement pas
de conducteur solide, il s'agit encore d'obtenir du mouvement à partir
de l'électricité, ou l'inverse. Le conducteur mis en jeu est en général
un plasma, c'est-à-dire un gaz porté à très haute température :
l'agitation thermique arrache des électrons aux atomes, lesquels cessent
d'être neutres pour devenir des ions positifs ; quant aux électrons, ils
constituent les charges négatives.
Ayant des charges électriques libres, le plasma est conducteur ; si on y
fait circuler un courant, il sera déplacé par un champ magnétique.
Inversement, un jet de plasma constitue un ensemble de charges en
mouvement qui engendre un champ magnétique, lequel peut agir sur un
aimant ou induire un courant dans un bobinage placé à côté, mais le
courant induit est d'autant plus fort que le bobinage est plus près.
La MHD constitue l'exemple le plus spectaculaire et le plus récent de
conducteurs fluides, mais à vrai dire l'idée remonte à Faraday. Vers
1830, il pensa à utiliser le mouvement de l'eau salée, qui est
conductrice, pour créer du courant. Il plongea deux électrodes dans un
canal où remontait la marée et utilisa comme champ magnétique celui de
la Terre : un faible courant se manifesta aux bornes quand la mer
remonta le canal. Pour être juste, le courant devait être vraiment très
modeste, car l'eau de mer ne renferme pas une grande densité de charges
électriques, et la vitesse des marées n'est pas celle d'un jet de
plasma.
L'expérience inverse - également inventée par Faraday - existe :
déplacer un fluide conducteur parcouru par un courant grâce à un champ
magnétique. Si le dispositif permettant le déplacement du fluide est
porté par un contenant, lui-même posé sur le fluide, il y aura, par
réaction, déplacement du contenant, donc propulsion et, il s'agit donc
dans son principe d'un réacteur MHD.
Principe de propulsion très simple et qui a été étudié de près au début
des années 1960 ; mais les résultats de ces travaux étaient plutôt
décourageants. Le premier rapport de " prospection sur la propulsion
magnéto-hydro-dynamique pour les navires ", rédigé en 1962 par un
Américain du nom de Philips, concluait ainsi :
1 - Avec l'induction magnétique - c'est-à-dire le champ magnétique - la
plus élevée qu'il soit possible de créer par les méthodes actuellement
disponibles, le système optimal propulserait un sous-marin de 600 pieds
à une vitesse de 10 noeuds avec un rendement électrique de 8 %. Obtenir
des vitesses ou des rendements appréciables nécessiterait des champs
beaucoup plus élevés.
2 - La raison de cette pauvre performance est la faible conductivité de
l'eau de mer (...).
3 - Le mauvais rendement et la faible puissance de ces systèmes les rend
peu aptes à être utilisés comme moyen de propulsion. "
L'eau de mer est, de fait, une fort mauvaise conductrice de
l'électricité : sa conductivité est environ dix millions de fois
inférieure à celle du cuivre ! Et, comme le remarque Phillips, pour
compenser cet inconvénient, des champs magnétiques très intenses sont
nécessaires, que n'offraient pas les moyens techniques de l'époque.
Arrivé là, on peut déjà se rendre compte que l'application de la
propulsion MHD aux aéronefs n'est pas prête de voir le jour, ne
serait-ce, dans l'état actuel de nos connaissances physique et
technologique, que par la quasi non conduction électrique de l'air.
Depuis quelques années, on assiste à un redémarrage des études sur la
propulsion MHD. La supraconduction a fait de grands progrès. Les
supraconducteurs sont des matériaux qui ont la particularité de n'offrir
pratiquement aucune résistance à l'électricité, et de laisser passer des
densités de courant jusqu'à mille fois supérieures à celle admise par le
cuivre.
Les Américains furent les premiers, dès le début des années 1980, à
reprendre les travaux théoriques sur propulsion. Aujourd'hui leurs
recherches (au laboratoire Argonne, dans l'Illinois, entre autres),
soutenues par le Département de la Défense, sont consacrées à la
réalisation de sous-marins, surtout pour la discrétion.
La propulsion MHD offre la possibilité théorique d'atteindre des
vitesses très élevées, et d'obtenir de très bons rendements énergétiques
et d'envisager la suppression de toute pièce mécanique mobile, y compris
le gouvernail.
Les Japonais, qui se sont lancés très vite dans un important programme
expérimental civil, financé par de grandes sociétés privées. A
l'université de Kobe, ils ont déjà fabriqué une maquette de vedette
équipée de propulseurs de ce type.
Les Soviétiques ont depuis longtemps à Riga (Lettonie) un des plus
important centre de recherche au monde entièrement consacré à la MHD des
liquides.
Depuis quelques années, la France n'est pas en reste : une petite équipe
s'est constituée à l'Institut de mécanique de Grenoble, avec des
chercheurs dont certains travaillaient déjà auparavant sur d'autres
applications de magnéto-hydrodynamique.
Le procédé précédemment décrit - un champ électrique plus un champ
magnétique perpendiculaire créant une force de Laplace-Lorenz -, qu'on
appelle la propulsion « par conduction », n'est pas le seul possible :
il existe une seconde voie, celle de la propulsion « par induction ».
L'induction électrique a été découverte par Faraday dans les années 1830
: un champ magnétique qui se déplace ou qui varie créé dans un corps
conducteur un courant qu'on qualifie d'« induit ». Le propulseur par
induction est une application de cette loi de Faraday : on génère dans
de l'eau de mer un champ magnétique glissant, en faisant passer un
courant alternatif dans un bobinage de forme adéquate : ce champ
magnétique « ondule » le long du bobinage. Étant variable, il crée dans
l'eau des courants induits, et l'interaction champ magnétique-courant
induit se traduit par une force dans l'eau, capable de faire avancer un
bateau.
En résumé, la différence entre les deux types de propulseur est que la
propulsion à conduction utilise deux champs séparés - un champ
électrique créé par des électrodes et un champ magnétique uniforme créé
par une bobine -, alors que dans la propulsion à induction, le champ
électrique est induit par un champ magnétique glissant, et il n'y a pas
d'électrode (c'était la solution envisagée par Philips dans son rapport
cité plus haut).
Outre cette alternative conduction/induction, un autre choix se présente
si l'on veut construire un navire ou un sous-marin à propulsion MHD :
les champs magnétique et électrique peuvent être créés soit à
l'extérieur de la coque, et la force repoussera l'eau à la périphérie du
bateau ; soit engendrés à l'intérieur d'un canal traversant le navire,
et ils ne s'appliquent qu'à l'eau s'écoulant dans ce canal. A partir de
ces deux possibilités, on peut envisager quatre types de propulseurs : à
conduction avec écoulement externe, à conduction avec écoulement en
canal, à induction avec écoulement externe, à induction avec écoulement
en canal.
Cela dit, que ce soit pour des considérations de rendement, de
simplicité d'utilisation ou de discrétion, c'est la propulsion à
conduction et en canal qu'ont adoptée les Japonais pour leur vedette
civile, de même que les Américains pour leur étude de sous-marin
militaire.
Les Japonais de Kobe en sont déjà à la seconde maquette de leur vedette
dotée de deux propulseurs MHD divisés chacun en 6 secteurs : chaque
secteur est constitué d'un canal cylindrique de 2,50 m de long et 25 cm
de diamètre, avec deux électrodes planes parallèles, si bien que le
champ électrique est perpendiculaire au champ magnétique et l'eau
s'écoule le long du bateau. Ce bateau a été construit en vue de
démontrer la faisabilité de la propulsion MHD pour des navires de
surface, mais des performances bien supérieures seront nécessaires pour
le rendre économiquement intéressant.
La propulsion magnéto-hydrodynamique n'est rentable qu'à grande échelle
: elle ne servira jamais à faire avancer des jouets, ou même de petits
bateaux ! En effet le rapport des forces électromagnétiques propulsives
aux forces visqueuses, qui freinent, est proportionnel au produit du
champ magnétique par le diamètre du canal d'écoulement. Pour que ce
rapport soit élevé, il faut donc un champ magnétique important et un
propulseur de grande taille.
Mais on en n'est pas encore là : des problèmes techniques restent à
surmonter, et d'abord dans la construction des aimants supraconducteurs,
pièces maîtresses du propulseur qui doivent être non seulement
puissants, mais aussi suffisamment légers et, comme tout
supraconducteurs, ils doivent être maintenus à une température très
basse, ce qui nécessite un circuit de refroidissement à l'hélium liquide
et une isolation thermique parfaite. Mais, tout en étant isolés, les
aimants doivent aussi rester très solidement liés au navire, ce qui
n'est pas sans soulever des difficultés.
Aucune de ces difficultés n'apparaît en principe insurmontable, et la
propulsion MHD devrait devenir une réalité d'ici à quelques années, car
les vitesses et les rendements qu'on peut en attendre sont théoriquement
bien meilleurs que pour une propulsion classique. Mais elle pourrait
devenir encore plus intéressante techniquement et économiquement lorsque
l'on saura utiliser les matériaux supraconducteurs « à haute température
».
La magnéto-hydro-dynamique est partout !
La propulsion des navires et des sous-marins n'est pas la seule
application de la MHD ! Le regain d'intérêt pour la propulsion est très
récent, mais la MHD fait l'objet de recherches depuis des décennies. Par
définition, la magnéto-hydro-dynamique est l'étude des mouvements des
fluides conducteurs de l'électricité en présence de champs magnétiques.
Bref, c'est un domaine de la physique où se mêlent l'électromagnétisme
et la dynamique des fluides, et qui cumule les difficultés de ces deux
disciplines.
Aujourd'hui, la MHD s'applique dans l'industrie nucléaire, où elle est
utilisée au pompage du sodium liquide dans les circuits secondaires de
refroidissement des surgénérateurs, et dans différents domaines de la
métallurgie : le laboratoire de Grenoble qui développe ces applications,
le Madylam, contribue aussi à la recherche sur la propulsion.
Dans les expériences sur la fusion thermonucléaire contrôlée, qui se
poursuivent depuis des années, les difficultés rencontrées pour la
stabilisation et le confinement du plasma relèvent aussi d'un problème
de MHD particulièrement ardu.
Dans la nature, étoiles et planètes subissent de gigantesques phénomènes
magnéto-hydro-dynamiques lorsque les plasmas chauds ou des métaux
liquides rencontrent de puissants champs magnétiques : le champ
magnétique terrestre et les champs magnétiques stellaires, la vitesse de
rotation des étoiles, les éruptions et vents solaires, les
magnétosphères les rayons cosmiques, relèvent aussi de la MHD.
Arrivé là, on se rend bien compte qu'on est à une distance
incommensurable d'une application aux aéronefs et encore moins aux
vaisseaux spatiaux.
Ouf... Ça va ? Vous avez suivi ?
Il y aurait encore plein de choses à dire sur la MHD, mais c'est quand
même pas le sujet principal du site...
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