Le coin à Dominique |
Climatisation et pressurisation de Concorde |
Le conditionnement d'air de Concorde assure les mêmes fonctions que sur
tous les aéronefs subsoniques, à savoir :
régulation de la pression (altitude) de la cabine
régulation de la température
renouvellement de l'air
ventilation des équipements
Les conditions sont différentes en supersonique du fait de l'élévation
de la température de peau qui peut atteindre, dans les cas extrêmes,
plus de 110°C à Mach 2 en croisière et de l'altitude de croisière plus
élevée (environ 60000 pieds) ce qui donne des pressions différentielles
plus élevées.
Ces problèmes sont relativement simples et le conditionnement d'air de
Concorde a été conçu sur des principes ayant fait leur preuve, de
conception classique, mais en tenant compte de ces différences.
En domaine de vol subsonique, il faut réchauffer la cabine, par contre
en supersonique c'est l'inverse, il faut refroidir la cabine. Dans ces
conditions la température totale n'est plus suffisante pour refroidir
l'air du prélèvement par des échangeurs classiques AIR/AIR. Le carburant
va intervenir aussi comme agent refroidisseur.
Le conditionnement d'air est assuré normalement par quatre groupes
identiques et indépendants (que l'on ne nommait pas encore " pack ").
(1)
L'air est prélevé au 5e étage du compresseur haute pression de chaque
réacteur à une température voisine de 550°C (pouvant atteindre 610°C)
avec une pression de 230 psi (2) à travers un clapet anti-retour et une
vanne double (Pressure Control/bleed valve) limitant la pression à 65
psi (3). Passage dans l'échangeur primaire (Primary Heat Exchanger) d'où
l'air ressort aux alentours de 200°C. L'air traverse ensuite un
centrifugeur-éliminateur de poussières (Dust Centrifuger) avant de
pénétrer dans le groupe turbo-refroidisseur (Cold Air Unit) qui comprend
un compresseur et une turbine montée sur le même axe. À la sortie du
compresseur l'air qui à été réchauffé (environ 300°C) pénètre dans
l'échangeur secondaire AIR/AIR (Secondary Heat Exchanger) puis dans
l'échangeur AIR/CARBURANT (Fuel Heat Exchanger) d'où il ressort aux
alentours de 80°C. Il traverse ensuite un centrifugeur-éliminateur d'eau
(Water Drain Swirler), qui élimine les particules d'eau pour éviter
l'érosion des injecteurs et des pales de la turbine, puis passe par la
turbine du turbo-refroidisseur et ressort à -25°C.
L'échangeur AIR/CARBURANT se trouve en dérivation sur le circuit
principale d'alimentation du carburant de chaque réacteur. L'admission
du carburant dans l'échangeur s'effectue à l'aide d'une vanne (Fuel
Throttle Valve) qui présente deux modes de fonctionnement :
- Fermée si le carburant est plus chaud que l'air à l'entrée de
l'échangeur ou si la température de l'air à la sortie de l'échangeur est
inférieure à 15°C
- Ouverte dans tous les autres cas.
Autres différences par rapport au conditionnement d'air d'un avion
subsonique :
- Prélèvement de l'air de refroidissement des groupes par deux circuits,
un situé sur le côté de la nacelle et utilisé à basse vitesse (M < 0.4):
un situé à l'intérieur de l'entrée d'air du réacteur, utilisé en vol à
grande vitesse (M > 0.4) et pouvant se substituer automatiquement au
premier grâce à deux volets libres.
- Les sorties d'air de refroidissement des groupes ne sont pas dirigées
directement vers l'extérieur mais vers les tuyères secondaires (4) ce
qui ajoute un effet de trompe (venturi). Au sol et jusqu'à une altitude
de 30000 pieds cet effet de trompe est insuffisant et est renforcé par
des injecteurs. Le rejet dans les tuyères secondaires à pour but
d'éviter une augmentation de la traînée.
La régulation de température est effectuée indépendamment sur chaque
groupe par une vanne de dérivation (Temperature Control Valve) qui
permet le mélange de l'air chaud (200°C) et d'air froid (-25°C) entre
l'entrée et la sortie du turbo-refroidisseur.
Les 4 groupes génèrent dans une " chambre " de distribution isolée par
des vannes en 4 parties distinctes mais qui peuvent être mises en
communication afin de palier les pannes d'un ou plusieurs groupes.
La distribution " normale " de l'air est effectuée comme suit :
Groupe 1 : poste de pilotage
Groupe 2 : cabine avant + armoires électroniques avant + radar + inertie
Groupe 3 et 4 : cabine arrière + armoires électroniques arrière
La régulation de pression (altitude) cabine est réalisée par deux
systèmes identiques, indépendants et automatiques composés chacun de :
boîte de commande (sélecteur) de pression cabine
boîtier électronique de régulation
deux soupapes de décharge (Discharge Valves) à commande
électro-pneumatique ; avant et arrière
deux ventilateurs de dépression
Chaque soupape est commandée en ouverture ou en fermeture par un moteur
couple et par des systèmes de sécurité :
Limitation d'altitude cabine à 11000 pieds avec pré-alarme à 10000
pieds
Limitation de pression différentielle positive à 11,2 psi
Limitation de pression différentielle négative à -0,5 psi
Dispositif d'amerrissage (Ditching Valve)
Un ventilateur (Vacuum Pump) permet d'obtenir une pression
différentielle nécessaire à l'ouverture de la soupape. Au dessus de 2
psi son alimentation est coupée.
Ultime sécurité passive automatique, un système venturi placé à la
sortie de la soupape limite l'altitude cabine à 15000 pieds.
Fonctionnement en supposant avoir sélecté le système 1 comme
prioritaire.
Au sol, moteurs au ralenti, les quatre soupapes sont ouvertes. Lorsque
les moteurs sont au régime de décollage, la soupape arrière du système 1
sera fermée à 50%, la soupape avant restant à pleine ouverture ; les
deux soupapes du système 2 seront fermées.
En vol, le système 1 assure complètement la régulation de pression
cabine, le système 2 reste en attente.
Cerise sur le gâteau, le système d'écoulement de l'air de la soupape de
décharge avant est conçu de manière à assurer un complément de poussée
de l'ordre de 300kg !
(1) pour les explications détaillées des " pack " et des lois de la
thermodynamique, se reporter à des contributions précédentes de Joël et
de moi-même.
(2) psi : pound per square inch. Unité de pression anglaise valant
environ, pour les calculs rapides, 70 hpa. (68,94756999871 pour les
puristes)
(3) Le système comprend également des systèmes d'interconnexion entre
les groupes adjacents (en cas de panne) et permet le démarrage
pneumatique des réacteurs et est relié à l'extérieur pour le groupe de
parc pneumatique.
(4) Voir une précédente contribution de ma part : " Tout (ou presque)
sur les réacteurs de Concorde "
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Concorde et les inverseurs de poussée en vol |
La commande des moteurs des paupières se fait
par l'intermédiaire de 4
NTRC (Nozzle Thrust Reverser Controller) qui sont eux-mêmes commandés par
2 NASU (Nozzle Angle Scheduling Unit), NASU N°1 pour les GRT 1& 4 et NASU
N°2 pour les GTR 2 & 3. En cas de défaut d'un des deux NASU, une
commutation automatique permet au second de prendre les 4 GTR en gestion
avec signalisation NOZZLE jaune au poste.
Les paupières sont pilotées par les NASU lorsque les manettes sont en
poussée avant.
La loi de commande des paupières ou tuyère secondaire est :
Décollage et Approche M < 0.55 Position 21°
Subsonique 0.55 < M < 1.1 Régulation en 21° et 0°
Supersonique 1.1 < M < 2.2 Position 0° (Pleine ouverture)
Reverse Position 73° (Pleine fermeture)
Reverse au sol pour une aide au freinage.
Reverse en vol, uniquement sur les GTR internes (2 & 3) avec comme
conditions :
- Les 4 moteurs au ralenti
- Interrupteur FLIGHT REVERSE ARM enclenché sur panneau mécanicien
- Manettes sur reverse
Dans le mode Reverse, la commande est envoyée directement par les NTRC.
Signalisation associée :
- Voyant REV bleu : allumé à 73°, clignote entre 27° et 73°
- Voyant CON ambre : défaut tuyère primaire en inversion de poussée, ne se
ferme pas après 3 secondes en reverse
- Voyant WIND DOWN jaune : mise au ralenti automatique du GTR commandée par
le TCU (Throttle Control Unit)
Des sécurités empêchent un déploiement intempestif des paupières en mode
reverse : frein sur les moteurs pneumatiques, trois vannes pneumatiques en
série sur le circuit de commande des moteurs de reverse, ces vannes étant
commandées par des circuits différents : manette en position reverse plus
M < 1.2 (NASU) plus commande manuelle.
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Entrées d'air de Concorde |
Le mécano n'est pas en charge de regler les entrees d'air a geometrie
variable (celle qui permettent a l'air d'entrer a 0.5M dans le reacteur)
sauf en cas de panne majeure de la chaîne de régulation automatique
des entrées d'air comme déjà expliqué dans une de mes précédentes
contribution.
L'asservissement des entrées d'air est assuré par la chaîne AICS (Air
Intake Control System) composée de:
- 8 AICU (Air Intake Control Unit) contrôlant les positions des différents éléments
- 4 AISU (Air Intake Sensors Unit) mesurant les pressions statique et dynamique internes et
l'incidence
- 1 AITU (Air Intake Test Unit) vérifiant la cohérence de tout
le système
- 1 AIMP (Air Intake Management Panel) assurant les commandes
manuelles ou automatiques et de différents autres systèmes électroniques,
mécaniques et hydrauliques.
Le rôle des AICU est de maintenir constamment le régime "critique" des
entrées d'air. Il est possible de " piloter " les entrées d'air à la main
par le mécanicien mais c'est un travail extrêmement prenant d'autant plus
que les réactions des quatre ensembles moteurs/entrées d'air ne sont pas
identiques ; c'est déjà arrivé, heureusement très rarement.
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L'héritage du Concorde |
Des dates...
1er vol commercial, pour Air France et Airbus A300-B2 le 23 mai 1974 avec
le F-BVGA sur Londres.
1er vol commercial en service régulier, pour Air France et Concorde le 21
janvier 1976 sur Rio de Janeiro via Dakar.
J'ai participé, à cette époque et pendant plusieurs années, activement à
la préparation du support de maintenance de ce que l'on appelait pas
encore "avionique" de ces deux appareils en collaboration sur place avec
un ingénieur de conception de plusieurs équipements Concorde
(Elliott/Sfena) et Airbus (Aérospatiale et Sfena). Un gars formidable,
Peter Potoski, d'origine polonaise, de langue anglaise, parlant un
français parfait, sans accent, si ce n'est une petite pointe d'accent
toulousain et des "putaing" "con", simple, plein d'humour, technicien hors
pair avec un "pif" comme j'en ai rarement vu pour débusquer les défauts
des spécifications de test. Lorsque nous étions confrontés à des problèmes
de mise au point de programmes de certification d'équipement, il étudiait
rapidement le schéma, prenait sa règle à calcul spéciale électronique et
quasiment à chaque fois il téléphonait au constructeur pour lui demander
de rectifier la spécification de test car il n'avait pas tenu compte de
tous les paramètres du circuit à tester.
De nos nombreuses discussions ressortait toujours que sans Concorde, il
n'y aurait pas eu d'Airbus. Une forte partie des concepteurs, au moins
pour l'avionique, d'Airbus provenait des équipes Concorde et c'est vrai
que pour le technicien qui plonge dans les entrailles des équipements, il
existe une communalité de conception.
Avec beaucoup plus de recul et les différentes évolutions des Airbus, je
maintiens ce point de vue : sans Concorde, pas d'Airbus.
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