ou : De l'obligation absolue de définir le référentiel.
Réelle pour ceux qui la ressentent, fictive* pour les physiciens, la
"force centrifuge" est néanmoins indispensable pour pouvoir expliquer
simplement, sans rentrer dans des équations complexes, certains
phénomènes physiques.
*Dont la valeur est purement conventionnelle, n'existe que dans l'esprit
et n'a pas de réalité concrète.
Comme pour beaucoup d'explication de phénomènes physiques, rien n'est
mieux que de commencer par un exemple.
Prenons le passager d'une automobile et regardons ce qui se produit en
entrant dans un virage à droite, mais avec deux points de vue : d'abord
celui d'un observateur lié à la route (référence absolue), puis avec
celui du passager dans un référentiel lié au véhicule (référence
relative).
Lorsque le véhicule aborde le virage, le passager reste sur sa
trajectoire rectiligne tandis que le véhicule tourne ; la paroi gauche
du véhicule se rapproche du passager et finit par venir heurter son
épaule gauche. À ce moment la situation change : la paroi pousse le
passager et exerce sur lui une force centripète, dirigée vers le centre
du virage.
Le passager, référencé par rapport au véhicule constate qu'il se met en
mouvement vers la paroi gauche du véhicule ; croyant pouvoir appliquer
les lois de la mécanique dans son référentiel, il conclut à l'existence
d'une force centrifuge dirigée vers l'extérieur de la courbe.
Lorsque le passager est contre la paroi, il devient immobile par rapport
au véhicule ; il pense que la résultante des forces exercées sur lui est
nulle. Or, ces forces sont la force centrifuge et la réaction de la
paroi ; par des expériences à l'intérieur du véhicule, le passager
constatera que la force centrifuge, bien que fictive, est mesurable.
De fait, on ne peut se passer de la force centrifuge pour expliquer
simplement certains phénomènes physiques, et il est vrai qu'il ne s'agit
pas d'une force réelle comme l'attraction d'un aimant, la tension d'un
ressort ou la poussée d'un réacteur. Tout dépend du point de vue auquel
on se place, c'est-à-dire "la référence". Par définition, la relation
fondamentale de la dynamique s'applique dans un référentiel galiléen
(1). La force centrifuge est une force d'inertie (force d'inertie
centrifuge) ; les forces d'inertie n'interviennent jamais dans un
référentiel galiléen et la force centrifuge n'y existe donc pas. La
relation fondamentale de la dynamique peut s'appliquer dans un
référentiel non galiléen à condition d'ajouter les forces d'inertie aux
forces agissant sur le système ; alors, la "force centrifuge" existe.
Si la force centrifuge existait réellement, la pierre de la fronde ne
partirait-elle pas selon le rayon du cercle décrit quand le fil est
lâché ; or elle part selon la tangente ; pourquoi ? ; en réalité, quand
le fil est lâché, la tension qu'il exerçait sur la pierre pour la
maintenir en rond (force centripète) disparaît ; la force d'inertie
centrifuge disparaît donc en même temps, et la balle part dans la
direction de la vitesse acquise selon la tangente au cercle.
Bien qu'elle soit fictive pour les physiciens ou mathématiciens, elle
est réelle pour le commun des mortels ; L'ouvrier qui découpe des
plaques de marbre avec une meule-scie utilise, lui aussi la force
centrifuge sans grand souci de savoir si elle est réelle ou fictive, la
meule-scie n'est qu'un disque de carton poudré d'abrasif qui, à l'arrêt,
s'aplatirait tout de suite sur la pierre sans même l'entamer. En
revanche, à grande vitesse, elle devient aussi rigide que de l'acier
trempé, parce que le disque est tendu par la force centrifuge ; de plus,
si ce disque est bien équilibré, il n'y a aucune réaction sur l'axe :
forces centripètes et forces centrifuges ne jouent que sur les molécules
du carton. Quant au pilote d'intercepteur qui exécute un virage serré,
il lui importe peu de savoir si la force centrifuge existe ou n'existe
pas : il constate seulement qu'une force énorme l'écrase sur son siège.
La vitesse est une grandeur vectorielle : elle a non seulement une
valeur numérique (tant de m/s ou de km/h), mais aussi une direction
qu'on peut rapporter à un axe fixe quelconque : la vitesse à un instant
donné fera un angle de x degrés avec cet axe. Toute modification de
cette vitesse, que ce soit en grandeur ou en direction, est due à une
accélération.
En général, on confond ce terme avec l'accélérateur de la voiture, et
l'on croit qu'il n'y a accélération qu'au moment où on appuie sur la
pédale idoine pour aller plus vite. En réalité, il y a aussi
accélération - mais cette fois négative - quand on freine. Et quand on
prend un virage, sans toucher ni à l'accélérateur ni au frein, il y a
encore accélération puisque la vitesse, bien qu'elle n'ait pas varié en
grandeur, a changé en direction.
Cette accélération, que l'on qualifie de centrifuge, est en réalité
centripète. C'est ici que les choses deviennent souvent moins faciles à
comprendre ; quand on fait tourner un caillou au bout d'une ficelle, on
croit que le caillou tire sur la ficelle : erreur, c'est la ficelle qui
tire sur le caillou pour le maintenir en rond alors que lui n'aurait
qu'une idée, c'est d'aller tout droit.
Principe fondamental de l'inertie : lorsqu'un corps n'est soumis à
aucune force (ou soumis à des forces qui s'équilibrent) sa vitesse est,
soit nulle, soit constante en grandeur et en direction ; autrement dit,
ou il est au repos, ou il va en ligne droite à vitesse constante. Or la
pierre au bout d'un fil voit sa vitesse changer sans cesse de direction
; c'est donc qu'une force agit sur elle, et cette force n'est autre que
la tension du fil qui la tire sans cesse sur une trajectoire circulaire.
Sans cette force, la pierre continuerait tout droit. On le voit bien
quand la ficelle casse : la pierre file selon la tangente au cercle
qu'elle décrivait - si c'était la pierre qui tirait sur le fil, elle
partirait dans l'axe de ce fil, selon le rayon du cercle qu'elle
décrivait. On vérifie que ce n'est pas le cas en faisant tourner un
caillou de haut en bas et en lâchant la ficelle quand elle est verticale
: le caillou ne part pas tout droit vers le haut ou vers le bas, mais il
part à l'horizontale.
Pour qu'il rejoigne le cercle qu'il parcourait, il faudrait le pousser
vers le centre, et le pousser d'autant plus fort que la rotation était
plus rapide : le temps qu'il s'éloigne sur la tangente, le point qu'il
occupait sur le cercle est parti d'autant plus loin que ce cercle est
parcouru plus rapidement. Or, exercer une poussée sur un corps, c'est le
soumettre à une force qui va lui communiquer une accélération d'autant
plus vive que cette force est plus grande.
Cette accélération est bien sûr dirigée vers le centre du cercle qu'il
faut rejoindre, d'où le nom d'accélération centripète. Il est fort peu
commode de pousser un mobile en rond pour lui faire sans cesse quitter
la ligne droite, et en pratique c'est le fil d'attache qui exerce cette
force. Plus la rotation est rapide, et plus il faut tirer fort pour
ramener constamment le mobile sur le cercle. Si on le fait tourner de
plus en plus vite, il vient un moment où le fil casse.
En général, on interprète cela en pensant qu'une " force centrifuge " a
dépassé la résistance du fil ; c'est faux : c'est le fil qui n'était pas
assez solide pour ramener le mobile sur le cercle alors qu'il voulait
continuer selon la tangente qui est une ligne droite. Un exemple très
différent sera plus "parlant" : on tire une voiture en panne avec un
tracteur puissant, mais avec une corde un peu mince. Si le tracteur
accélère un peu sec, la corde casse, mais il ne viendrait à personne
l'idée de dire que la voiture en panne a tiré en arrière au point de
faire céder le filin. Au contraire, tout le monde comprend que c'est la
force exercée sur le fil pour accélérer la voiture en panne qui a été
trop grande. Il en va de même lors des rotations : le fil casse parce
que vient un moment où il n'est pas assez solide pour tirer en cercle un
mobile que son inertie fait aller naturellement en ligne droite. C'est
cette force d'inertie, qui est exactement la même que celle de la
voiture en panne - donc inerte - qu'on veut tirer en avant d'un coup
sec, qui est appelée force centrifuge.
D'une manière très générale, les efforts auxquels est soumis un corps en
trajectoire courbe sont ceux qu'il subirait au repos de la part de
forces centripètes (réelles) et de forces opposées ayant la grandeur des
vecteurs forces d'inertie. On exprime ce fait de manière moins
rigoureuse en disant que le corps tend à s'écarter de l'axe de rotation
sous l'action de la force centrifuge (qui n'est qu'une force d'inertie)
et qu'il est retenu par la force centripète.
Si la vitesse du mobile de masse m est v, la force F à laquelle il est
soumis en un point où le rayon de courbure de sa trajectoire est r est :
F = mv2/r. En vertu de la formule fondamentale de la dynamique F = ma,
où a est l'accélération, on en déduit que l'accélération à laquelle est
soumis un corps sur une trajectoire courbe vaut v2/r. Pour un même rayon
de courbure, cette accélération est donc proportionnelle au carré de la
vitesse. Avec des rotations très rapides, elle peut atteindre des
valeurs considérables qui sont des milliers de fois supérieures à
l'accélération g de la pesanteur.
Celle-ci vaut 9,81 mètres/seconde par seconde (2) - une accélération
mesure une variation de vitesse (ici en m/s) par unité de temps (ici la
seconde). Or le caillou qu'on fait tournoyer au bout d'une ficelle de 1
mètre à raison d'un tour par seconde (60 tr/min) subit déjà une
accélération de 4 g qui s'ajoute vectoriellement à celle de la pesanteur
; autrement dit, quand la ficelle est verticale, il subit 4 g à
l'horizontale, 5 g en bas et 3 g en haut.
Un tambour de machine à laver de diamètre 46 cm de diamètre lancé à 1200
tr/min - valeur classique à l'essorage - voit chaque point de sa
périphérie subir une accélération de 370 g. Un bol de 50 cm de diamètre
lancé à 6000 tr/min dépasse les 10000 g. À 24000 tr/min, régime standard
des gyroscopes alimentés avec une fréquence de 400 Hz, un roue d'un
diamètre de 6 cm verrait sa périphérie subir plus de 20000 g.
Avec de telles valeurs obtenues aisément, de nombreux problèmes
industriels et de la vie courante ont pu être facilement résolus et en
particulier ceux de la séparation des liquides de densité différente ou
de filtration.
Quand on laisse reposer du lait qu'on vient de traire, on voit de la
crème monter lentement à la surface ; avec la crème on fera du beurre, à
condition d'attendre qu'il en soit remonté une quantité suffisante.
Pendant de longs siècles, on s'est fait à cette attente, jusqu'au jour
où quelqu'un a eu l'idée judicieuse de faire tourner le bidon : en
quelques minutes on avait autant de crème qu'en laissant reposer le lait
pendant plusieurs jours.
Le lait est constitué d'une émulsion de molécules grasses dans un
liquide plus dense. Celui-ci tombe donc tout naturellement au fond du
fluide gras et plus léger qui, lui, fait le trajet inverse et remonte à
la surface. Mais la chute est lente car la différence de densité entre
les deux corps est faible, et la mince force qui tire le plus lourd vers
le bas se trouve freinée par la viscosité du fluide à traverser.
Pour vaincre plus rapidement cette résistance hydrodynamique, il
faudrait que le lait devienne beaucoup plus lourd que la crème. Or, il
est parfaitement possible d'augmenter le poids du lait : il suffit pour
cela de relever l'accélération à laquelle il est soumis.
Prenons une émulsion similaire au lait, c'est-à-dire un mélange homogène
de gouttelettes d'eau et d'huile. L'eau a la densité 1, l'huile 0,9 ;
chaque goutte d'eau est donc soumise à la différence entre son poids mg
et la poussée d'Archimède de l'huile qui vaut 0,9 mg. Elle tombe donc
sous l'influence de la force résultante égale à 0,1 mg. Mais elle est
ralentie par la viscosité de l'huile dont la résistance hydrodynamique
atteint très vite 0,1 mg pour une vitesse infime.
Les gouttelettes d'eau descendent à une vitesse constante moyenne de
l'ordre de 1 mm par heure. Si la hauteur du récipient contenant
l'émulsion est de 50 cm, il faudra attendre 500 heures, soit 3 semaines,
pour que huile et eau se soient séparées. Mais si l'on pouvait accélérer
le récipient à 10 000 g, la force à laquelle seraient soumises les
gouttes d'eau serait 10 000 fois plus grande. En supposant que la
résistance hydrodynamique de l'huile reste proportionnelle à la vitesse,
les gouttes d'eau descendraient 10 000 fois plus vite : le temps de
séparation des deux phases tomberait de 3 semaines à 3 minutes.
Pour avoir ces 10 000 g, comme le montrait un calcul précédent, un bol
de 50 cm lancé à 6 000 tr/min fait l'affaire. Notons, quand même, que
l'accélération en un point dépend non seulement de la vitesse de
rotation, mais aussi de la distance de ce point au centre : dans le bol
de 50 cm, il y a bien 10 000 g à la périphérie, mais seulement 6 000 g à
15 cm du centre.
Dans un tel système, nommé centrifugeuse, l'eau forme contre la paroi
une couche cylindrique sous pression tandis que l'huile, plus légère,
forme une autre couche cylindrique intérieure à la précédente. S'il y
avait plusieurs liquides de densités différentes, le plus lourd se
rassemblerait à la périphérie, le plus léger serait proche du centre et
les autres s'étageraient entre les deux.
Le même principe s'applique aussi aux filtrations : sous son seul poids,
un mélange liquide peut mettre des heures ou des jours à traverser un
filtre très fin. Dans une centrifugeuse, ce filtre va servir de paroi
circulaire intermédiaire, et l'accélération due à la rotation pousse le
liquide contre le filtre avec une force des milliers de fois supérieure
à celle de la pesanteur - autrement dit à son poids. Les centrifugeuses
ménagères relèvent encore de ce schéma : les morceaux de carotte qu'on y
place s'écrasent contre une paroi perforée et le jus passe à travers les
trous.
La centrifugeuse est un outil extrêmement répandu, depuis les centres de
recherche nucléaire jusqu'aux cimenteries en passant par les
laboratoires de biologie ou les installations de pétrochimie. A la
maison, elle sert surtout à faire des jus de fruit ou de légume, mais on
se rappellera bien que, quand on lance la machine, ce n'est pas le
morceau de carotte qui appuie sur la paroi, mais la paroi qui appuie sur
le morceau de carotte.
(1) Dans la plupart des applications, on considère un espace euclidien à
trois dimensions ; le temps est un paramètre indépendant. Il existe
alors un repère fondamental dans lequel un point matériel qui n'est
soumis à aucune force est soit au repos, soit animé d'un mouvement de
translation rectiligne et uniforme ; ce repère est qualifié de galiléen.
Ces hypothèses représentent une approximation suffisante dans la mesure
où on s'intéresse à des champs de gravitation faibles et à des vitesses
très petites par rapport à la vitesse de la lumière.
Les lois fondamentales
- Dans un repère inertiel, ou galiléen, il y a proportionnalité entre la
force F qui est appliquée à une particule de masse m et l'accélération
gamma qui en résulte; il s'agit de l'équation fondamentale de la
dynamique : F = m.gamma.
- Dans un repère non galiléen, l'accélération absolue "gamma indice a"
est la somme de trois accélérations : l'accélération relative,
l'accélération d'entraînement et l'accélération de Coriolis.
- Lorsque deux particules de masses m1 et m2 sont mises en présence
l'une de l'autre à la distance d, il apparaît entre elles des forces
d'attraction mutuelle; il s'agit de la loi de l'attraction newtonienne :
F1=F2=G*(m1.m2)/d²
F1 est le module de la force qui s'exerce sur la particule de masse m1 ;
F2 est le module de la force qui s'exerce sur la particule de masse m2 ;
G est la constante de l'attraction universelle (G = 6 673.10^-14
m³.s^-2.kg^-1).
L'utilisation simultanée de l'équation fondamentale de la dynamique et
de la loi de l'attraction newtonienne permet d'écrire l'équation du
mouvement. On retrouve ainsi, pour les relations liées aux ellipses, les
lois de Kepler, établies au XVIIe siècle pour les planètes.
Remarque : La notion d'immobilité est ambiguë et la vitesse est un
concept physique difficile à définir. Voici un exemple classique, dont
une variante fut utilisée par Einstein : vous êtes assis dans un
fauteuil d'une voiture de TGV qui est à quai, immobile dans une gare ;
votre vitesse est-elle nulle ? certainement pas ! Au-delà de l'intuition
que l'on peut en avoir, la vitesse est un concept physique difficile à
définir. Quand vous êtes assis sur une chaise, votre vitesse est-elle
nulle? Non, car la Terre tourne sur elle-même et autour du Soleil qui
lui-même se déplace dans la galaxie. Les notions de mouvement et de
vitesse n'ont ainsi de sens que si elles sont précisées par rapport à un
référentiel d'observation. Se promener sur la berge d'une rivière puis
nager dans cette rivière, fait passer d'un référentiel à un autre. On
fait ainsi l'expérience de la relativité de la vitesse.
(2) L'intensité g de l'accélération de la pesanteur varie suivant la
latitude : elle est différente à l'équateur (g = 9,7803 m/s²) et au pôle
(g = 9,8322 m/s²). La valeur de 9,81 m/s² est valable à Paris. De plus,
cette valeur varie également avec l'altitude ; les tables OACI, pour des
altitudes géopotentielles donnent : 1000 m : 9,8036 m/s² ; 5000 m 9,7912
m/s² ; 10000 m 9,7758 m/s² ; 20000 m 9,745 m/s².
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