Vol Hors-Ligne, Chateauroux, 22 octobre 2001
Le 22 octobre 2001 commençait mon VHL (Vol Hors Ligne) à savoir un stage qui permet de goûter au véritable avion en tour de piste après huit semaines de théorie et de simulateur. Pour un stagiaire en intégration comme moi, dépourvu de première qualification JAR25 c'est même le premier contact réel, en tant que pilote, avec un avion de ligne. Voici, en exclusivité pour les F.R.A.ncaises et les F.R.A.ncais, le récit de cette journée où j'ai piloté un A320 ...
Lundi, 05h00 (avec musique à la X-files ou à la "Qui veut gagner des biffetons ?")
" ...amoureux des sirènes, les ambulanciers sont les marins des départementales, salauds de séducteurs ils ont une infirmière dans chaque hôpital. "
C'est San Severino avec son Tango des embouteillages (sur FIP) qui me réveille ce matin là. Je ne peux pas dire que ce soit la joie, car l'excitation du lendemain ne m'a fait dormir que 4 heures... "de sommeil, exact, je vais encore passer la journée la tête dans les vap'" comme dirait Cool Shen. Un petit passage sous la douche histoire d'y voir plus clair, puis petit déjeuner au lance pierre. Je saute dans mes fringues et sur l'occasion de repasser dans la chambre faire un petit piou à la Manou qui essaye de se rendormir. La seule réponse qui me parvient est un "Rhmgrgrnm" qui signifie certainement "Sois prudent mon cœur et passe une bonne semaine, dis bonjour à tes grands parents, mouche ton nez, mets ta main devant ta bouche quand tu bailles, ne suis pas les messieurs qui ont des bonbons et oublies pas le pain quand tu rentres". Puis direction le premier métro avec mes flight et cabin cases. Me voici à la base PN d'Orly, à 06h30, pile poil ! Les copains sont là, et on en profite pour s'avaler un ou deux croissants et un chocolat chaud. Pendant que les deux instructeurs qui vont nous convoyer s'en vont à la préparation du vol, on discutaille et peu à peu on réalise que le grand jour est arrivé ... dans quelques heures, on va piloter un Airbus A320 ... rien que çà !
Au bout d'une heure les premières plaintes fusent (on ne se refait pas) :
"C'était bien la peine de se lever à l'aube si c'est pour partir à la bourre".
Arf, on commence à avoir l'habitude ! :) Finalement, les instructeurs reviennent et l'on monte dans la navette pour se rendre à notre jouet. Le voici. Il fait encore nuit noire mais sous les puissants projecteurs du parking, le F-GHQI est d'un blanc immaculé. Évidemment , on ne peut s'empêcher de faire quelques photos souvenir au pied de notre oiseau.
La passerelle est là. En montant les marches, je n'arrête pas de penser avec délectation que cet avion qui est au bout de l'escalier, je l'aurai au bout des doigts pas plus tard que cet après midi. Ça me rappelle un peu Clémenceau qui disait que " le meilleur moment dans l'amour, c'est quand on monte l'escalier.
A l'intérieur, on se sent tout de suite un peu comme chez nous. Nous voici dans un avion de ligne, mais sans le protocole habituel du passager lambda. On se balade un peu partout et pendant que les instructeurs s'affaire à préparer du poste, on commence à faire joujou avec l'appareil photo numérique flambant neuf de Christophe. Et que je te photographie allongé sur trois sièges en même temps, ou dans le galley, voire dans les ouatères !
Quelques problèmes de logistique nous font perdre un temps fou, et alors que le jours commence à poindre, une envie irrésistible de taper dans les provisions de bord s'empare du groupe de stagiaires. Il faut dire que l'on nous a gâté. Dans les placards, des casses croûtes pour 3 jours, des hectolitres de jus de fruits, du café (mais je m'en fiche j'aime pas çà), et bien sur, des croissants et autres viennoiseries diverses qui ne se doutent même pas que leur fin est proche (contrairement aux Clapiottes dans " la Cité de la Peur "). Finalement arrive le coordo qui remet à l'équipage le devis de masse final. On ferme les portes et on arme les toboggans, le sol est contacté, on repousse, et on démarre. Après quelques minutes de roulage, l'A320 s'aligne en 08 puis décolle dans la foulée. L'ambiance pendant le vol est plutôt relax. On change de siège toutes les trente secondes, on va faire un tour au poste, on revient, un petit jus de fruit, une friandise, un tour au poste, on va se rasseoir histoire de causer avec les potes et faire connaissance avec les mécanos qui nous accompagnent. Ha, il y a un stagiaire qui cause modélisme avec l'un d'eux justement, on ne va pas réussir à les déscotcher de la semaine ! Mais le temps passe vite et après seulement une demi heure, on se pose à Châteauroux Deols, dans mon Berry familial. Je remarque au passage que la sensation à l'impact des roues est sensiblement différente de celle reproduite dans le simulateur; je reviendrai sur ce point plus en détails un peu plus bas.
Il est à peine 10 heures du matin et le planning est établi. Jean Marc et votre serviteur seront le dernier binôme de la journée. Nous descendons de l'avion, un peu frustrés de laisser là Christophe et Marc qui vont, eux, être les premiers à tourner. Ceci dit, on se console, en emportant quelques casses croûte, et en pensant à la sieste intersidérale que l'on va pouvoir faire en attendant 17h; en effet, notre premier vol se déroulera de nuit ! Direction l'hôtel St Jacques, situé à au moins cinq cent mètres de l'aéroport ! Heureusement, Hertz a mis à notre disposition des véhicules ;-) J'aurais du emporter mon VTT d'autant qu'il y avait largement la place dans la cabine ... Et dans la chambre aussi, même si ça fait moyennement classe ! Me voici finalement allongé sur le lit, zappant au hasard des chaînes, histoire de trouver un sommeil qui ne viendra qu'après le déjeuner express du midi.
15.12, heures de Châteauroux. Le portable sonne. C'est Patrick, notre instructeur, qui m'informe que les précédents ont pris de l'avance et que nous pourrons avoir l'avion dans une petite heure. Je m'habille en vitesse et commence ma préparation psychologique à base de " ça y'est, tu tiens le bon bout, ça y'est tu tiens le bon bout (ad lib) ". Je réveille ensuite Jean Marc d'un " debout la'd'dans! " et moins de vingt minutes plus tard, on commence le briefing. Le programme de ce premier vol, qui durera une heure pour chaque stagiaire, comportera uniquement des tours de pistes standards, dont un premier à 3000 ft avec une longue finale pour se faire la main. Nous reparlons donc en détail des synoptiques associés histoire de préactiver notre mémoire, car comme dit l'autre : " yé souis pas ouné machine ! ". Par la fenêtre nous voyons l'Airbus quitter la piste pour rejoindre le parking. C'est l'heure ! Nous sortons immédiatement. L'avion arrive, guidé par le mécano. Nos oreilles sont envahies par les sifflements des réacteurs, de l'APU, des packs de conditionnement d'air et des ventilateurs de frein. Même une fois les moteurs coupés, le reste génère un sacré brouhaha...
Cette fois c'est à nous. Un tirage au sort basé sur le principe du " vas y je t'en prie... non après toi je n'en ferai rien " a décidé que ce serait mon binôme qui commencerait la séance. Je redescend donc illico faire la visite prévol extérieure, bien aidé en cela par notre ami mécano. Lorsque je remonte quelques minutes plus tard, Jean Marc a terminé la préparation du poste et on attend plus que moi pour partir. Le contact avec le sol est établi, le polyvalent sol (notre mécano) nous assure que toutes les portes de l'avion sont bien fermées, les poignées verrouillées, les abords dégagés, et confirme l'absence de broche d'isolation d'orientation du train avant (utilisée lors des repoussages, mais à Châteauroux on se gare en plein milieu du parking, tels les rois du pétrole). La tour nous autorise à rouler vers le point d'attente 22. On peut y aller ! Avant de déployer le jump-seat, je vais moi même armer les toboggans, en prenant bien mon temps, vu qu'on ne l'avait fait qu'une seule fois, pour entraînement sur une maquette à Orly. J'en profite pour jeter un œil dans la cabine, vide de passagers. Quelle vision étrange ! Bon, il est temps que je retourne m'asseoir. On est pas seuls aujourd'hui, un (mother) Fokker 28 de la KLM est également en tours de piste, et un Xingu de l'armée de l'air s'annonce pour effectuer une percée ADF en entraînement.
Arrivés au point d'arrêt de la 22, le KLM se pose à cent mètres devant nous et nous sommes autorisés à remonter la piste puis à nous aligner. Alors que l'Airbus effectue son demi tour guidé tout en souplesse par le poignet de mon binôme, nous nous retrouvons face au soleil qui perce au travers des nuages et qui inonde de lumière une piste sur laquelle une averse s'était déjà abattue quelques minutes plus tôt. Flash ! Nous sommes même aveuglés quelques secondes !
"Air France 514 Charlie, vous êtes autorisés au décollage, piste 22, le vent : 200° / 12 kt ".
Jean Marc affiche la poussée de décollage, et c'est parti pour une heure de tours de piste que je ne détaillerai pas ici, sans quoi je n'aurai plus rien à raconter concernant ma séance :-)
Il est maintenant 17h00 TU. 18h00, heure de Châteauroux. Le soleil est couché depuis 8 minutes. L'avion s'arrête sur le taxiway. Mon binôme se détache et quitte son siège. C'est à moi. Évidemment, la question que tout le monde se pose, c'est " Alors, ça fait quoi ? ". " Même pas mal ! ". A vrai dire, on n'a pas vraiment le temps de réaliser quoi que ce soit sur l'instant. Les longues heures d'entraînement au simulateur font leur effet. Je m'assoie, règle mon siège et le dossier de manière à ce que la petite boule blanche de l'oeil artificiel soit masquée par la rouge. Ainsi je bénéficie du meilleur segment visuel vers l'avant. Puis, je tourne les deux molettes de hauteur et d'inclinaison de l'accoudoir droit afin que le mini manche me tombe parfaitement dans la main. Un tour complet du tableau de bord, en commençant par le panneau supérieur, puis la console latérale, le bandeau du FCU, et enfin le panneau central ainsi que le pylône. Je calcule et insère dans le FMGC les paramètres de décollage, V1, Vr, V2 ainsi que la température fictive pour la poussée réduite. Le trim est réglé, le rudder trim au neutre, et par sécurité nous faisons une check list après mise en route, bien que les réacteurs n'aient pas été arrêtés durant cette permutation de stagiaire. La tour nous autorise à nouveau pour le point d'arrêt 22.
" Tu as l'avion, c'est quand tu veux... " me dit mon instructeur.
Je pose ma main droite sur le volant d'orientation de la roulette de nez et de la main gauche, je desserre le frein de park. L'avion commence à avancer malgré la poussée toujours au ralenti.
" Paré pour les essais de freins ? "
" OK! " me répond on à gauche.
J'appuie alors doucement sur les palonniers... rien ne se passe. J'augmente un peu la pression...Arghh ! Ça a presque pilé ! L'engin demande du doigté, enfin plutôt du doigté-de-pied en l'occurrence.
"Vérifié !" m'annonce Patrick.
J'avance légèrement les manettes de gaz, et observe la poussée augmenter doucement vers 25% de N1. Un coup d'œil en haut à gauche du Navigation Display, la vitesse sol atteint déjà 12 kt (la graduation du badin du PFD commence à 30 kt). Je repasse la poussée sur ralenti et demande à mon commandant de bord / instructeur si il est prêt pour l'essai des commandes de vol.
" Vas-y ".
Je me saisis du mini manche et annonce:
" Gauchissement : à gauche... à droite... au neutre ",
" Vérifié ! ",
" Profondeur : à piquer... à cabrer... au neutre ",
" Vérifié ! ".
Je lâche le manche pour me ressaisir du volant de direction tout en appuyant avec la paume sur le switch de déconnection. Ainsi les palonniers sont découplés de la roulette. J'appuie à fond sur la pédale de gauche,
" Direction : à gauche... ",
puis sur celle de droite,
" à droite... au neutre ".
" Vérifié ! ".
Le switch du volant relaché, je vérifie que la conjugaison palonnier-train avant est récupérée par une légère pression sur la pédale de droite, histoire de ramener l'Airbus pile sur la ligne centrale du taxiway.
" Prêt pour le briefing avant décollage ? ",
" Je t'écoute " me répond Patrick.
" Et bien c'est un décollage de la piste 22, aux vitesses V1 135, Vr 135, V2 138, une masse de 54 tonnes, configuration volets 2, un FLEX à 87% pour une température fictive de 54°, et on monte à 3000 ft, 3000 bleu ".
L'instructeur enchaîne:
" Vérifié, et en cas d'anomalie avant V1, j'annonce " Stop ! " ou "On continue !".
Je poursuis :
"En cas de panne moteur après V1, la ZAC est à 2000 ft et on revient par un tour de piste main droite; si tu n'as pas de question, le briefing est terminé".
Vu que l'intéressé n'a pas de question à poser, je demande les actions avant décollage suivies de la check list. Patrick passe l'auto brake sur max, appuie sur le bouton " take off config " et commence l'énumération des items de la check :
" Commandes de vol ? "
" Vérifiées ! "
" Vérifiées ... anti ice ? "
" Off ! "
" Volets ? "
" Deux ... et deux ! "
" Mémo take off ? "
" Take off vert ! "
" Check list avant décollage terminée. "
Pendant ce temps, je continue à " taxier " l'appareil, et je m'aperçois que pour les petites corrections, les pédales sont bien plus intéressantes que le volant, bien trop sensible, surtout pour le bleu que je suis. Le point d'arrêt arrive mais avant, il faut effectuer un virage de 90°. Je ralenti un peu au dessous de 10kt, actionne doucement le petit volant, mais ça part quand même brusquement sur le coté. Patrick, qui en a vu d'autres, me suggère de le tenir du bout des doigts tout en gardant le pouce sur la console pour que la main ait un point d'ancrage. Effectivement ça marche mieux. Décidément, les simulateurs ont encore des progrès à faire, car ces accélérations latérales ne sont pas forcément bien restituées, de même que l'impression de roulage en général où manquent les imperfections du tarmac; dans le vrai avion, ça bouge tout le temps, ça fait des " blam ! " à chaque fois que l'on roule sur une loupiotte du balisage central.
" Air France 514 Charlie, remontez la piste 22 jusqu'à la raquette " nous annonce la tour.
On accélère un peu histoire de ne pas occuper la piste trop longtemps, même si le KLM ne tourne plus. Il y a cinq cents mètres à remonter avant d'arriver à la raquette de demi tour. Ça aussi c'est une première pour moi. D'abord une ligne jaune de guidage qui s'en va sur la gauche, on la suit et l'on vise un repère constitué de deux lampes qui doivent être alignées. Évidemment, j'ai réduit la vitesse à moins de 5kt car on se rapproche très près de la pelouse qui borde la piste ! Patrick me guide. A sa gauche, deux autres lampes. Quand celles ci sont alignées, c'est le moment de braquer pratiquement à fond à droite, et comme par magie, tout le décor extérieur pivote devant nos yeux. L'A320 tourne quasiment sur place, la roulette ayant un débattement de 75° de part et d'autre de son neutre.
" Air France 514 C, autorisé au décollage piste 22, le vent 200°, 10 kt "
Je peaufine l'alignement, ce que l'on a rarement fait dans le simu où le plus souvent, on se retrouvait directement aligné au dixième de degré près. Voilà la roulette a l'air d'être pile sur l'axe central, un coup d'œil au PFD qui indique 216°, impeccable !
" Décollage, V1 135 kt " m'annonce Patrick.
Nous démarrons les chronomètres. J'avance progressivement les manettes de poussée de manière à obtenir un N1 voisin de 50% (ce qui permet de s'assurer que les deux réacteurs répondent bien de la même manière, et ainsi d'éviter une sortie de piste en cas de poussée franchement dissymétrique). Les moteurs accélèrent lentement au début, puis de plus en vite au fur et à mesure qu'ils montent dans les tours. Une fois les régimes stabilisés vers 50%, je ré-avance les manettes. Clank ! Les voici passant le cran CLIMB; re clank ! Les voici dans le cran FLEX. Au delà de 50% de N1, les deux CFM56-5-A1 répondent illico, et leur rugissement est clairement audible dans le cockpit. L'Airbus accélère. A haute et intelligible voix , je lis l'annonciateur de modes du PFD :
" MAN FLEX 54, SRS, Runway, A/THR bleue ! "
" Vérifié! "
Bon d'accord, quelques explications s'imposent. Dans n'importe quel avion équipé d'automatismes, il faut vérifier la réponse de la machine à une demande du pilote, et s'assurer que le ou les collègues soient également au courant de ce qui se passe. C'est la raison pour laquelle on annonce systématiquement ce qui apparaît sur le Flight Mode Annunciator (FMA). Ainsi, au décollage, le fait de mettre les manettes dans le cran FLEX limite la poussée en fonction de la température fictive insérée (plus élevée que la température réelle); le mode SRS (Speed Reference System) du Directeur de Vol (DV) s'engage également et nous aide à maintenir V2 + 10 tandis que RWY (RunWaY) nous guide sur l'axe de la piste à l'aide du faisceau du localizer. Enfin , le A/THR inscrit en bleu sur FMA indique que l'autopoussée est armée, mais non active.
Pendant ce temps la vitesse augmente et l'instructeur m'annonce " poussée disponible " ce qui signifie que tous les paramètres moteurs sont nominaux. Je retire ma main gauche pour laisser la place à sa main droite. C'est maintenant lui qui effectuera l'arrêt décollage si il y a lieu. 80 kt. Je relâche progressivement mon mini manche que je gardais poussé vers l'avant pour mieux tenir l'avion au sol (surtout utile par vent de travers).
Nous annonçons simultanément " 100 kt ! ". Les deux badins sont donc d'accord.
L'accélération se poursuit, ça commence à trembler et secouer de plus en plus là dedans !
" V1 ! Vr ! "
Patrick lâche les manettes de poussée. J'amène doucement le mini manche vers l'arrière, l'appareil se cabre, puis quitte le sol. Je continue à augmenter l'assiette jusque 15°.
" Vario positif ! "
" Train sur rentré ! " réponds-je p>
Bruit de la mécanique en mouvement, il faut dire que le puits de train se situe juste sous la cabine de pilotage.
" NAV vert ! "
" Vérifié "
Le DV vient de passer en mode NAV, une navigation simplifiée à l'extrême puisque pour tout cheminement, nous avons juste rentré un triangle. Ça monte vite, çà accélère vite !
" Train rentré, verrouillé! " m'informe-t-on.
Passant 1000 pieds sol, je diminue l'assiette vers 7°; la vitesse augmente et atteint maintenant F + 30kt (30kt au dessus de la vitesse mini de rentrée des volets).
" Volets 1, speed S sélectée "
Patrick passe la manette de volets sur le cran 1 et affiche 190 dans la fenêtre de vitesse du FCU.
" Volets 1+F " m'annonce-t-il.
L'altitude du tour de piste (3000 ft) arrive. 200 ft avant, je réduis franchement la poussée vers 60%, et anticipe la mise en palier avec 4° à l'assiette. Par chance, je n'overshoote ni la vitesse ni l'altitude, bénéficiant de l'expérience de mon binôme qui a essuyé les plâtres une heure auparavant.
" A mon top, tu liras 3000 ft... Top ! "
" Vérifié "
Je demande aussitôt à mon instructeur de m'afficher le cap de la vent arrière . Un coup d'œil de sécurité sur 180°, une pression sur le bâton de joie et l'A320 se met en virage par la droite à 25° d'inclinaison. Je relâche le manche ... c'est incroyable, l'horizon artificiel de bouge pas d'un poil, pas besoin de compenser à cabrer, ça tient tout seul... un vrai X-Swing (enfin je suppose que c'est comme ça dans un X-Wing :).
Je desserre un peu le virage dans le but d'éviter de survoler un hameau de riverains susceptibles. Une dizaine de degrés avant le 036, un simple mouvement du poignet et l'Airbus se retrouve les ailes à plat. Je demande:
" Check list après décollage "
" Après décollage ... train ? "
" Rentré "
" Volets ? "
" 1 + F "
" Altimètres ? "
" QNH, 1025 comparés "
" QNH, 1025 comparés, check list après décollage terminée "
A l'issue, mon collègue active la phase approche dans le MCDU, puis effectue en silence la check list approche, comme stipulé dans les consignes du VHL. Dehors, l'horizon réel est d'un rouge flamboyant et l'air on ne peut plus calme. On profite de ce tour de piste non standard pour faire un peu de mania, à savoir des virages à 45° d'inclinaison (voire même un petit peu plus) pour étudier les protections en roulis de la loi normale de pilotage. Quelles sensations ! Flirter quelques secondes avec des accélérations de 2 G dans un appareil de plus de 50 tonnes et qui pour le coup répond quasiment aussi vivement qu'un DR400 !
Nous reprenons le cap de la branche arrière pour nous éloigner à une dizaine de miles nautiques du terrain. Devant, la campagne s'étend à perte de vue, huit cents mètres au dessous défilent des fermes, des hameaux, des bosquets et quelques routes. Stéphane, un autre stagiaire qui était passé par là quinze jours auparavant m'avait dit :
" Tu vas voir, c'est comme à l'aéro-club, sauf que c'est pas un Robin, c'est un A320 et que t'as rien à débourser ! ".
C'est tout à fait çà... Je réalise alors qu'on se trimballe tranquillement au dessus du paysage, suffisamment bas pour apercevoir un chien qui aboie devant une maison, dérangé qu'il est par ce bruit de réacteur. Réacteur... J'essaie d'imaginer la scène vue du sol. En l'air un avion qui passe, mais celui ci ne fait pas ce bruit caractéristique de tondeuse à gazon des appareils que je pilotais jusqu'à présent. Il fait un bruit étrangement métallique, un mélange de tonnerre et de sifflement. C'est un avion de ligne, mais qui passe comme un avion léger, lentement et se laissant admirer dans la lumière tombante. Je crois que c'est à ce moment que j'ai vraiment réalisé que c'était moi qui était aux commandes de cette merveilleuse machine, qu'un rêve de gosse était en train de se réaliser. " Salut le toutou... ". Je dis toujours bonjour aux chats et chiens que je croise dans la rue, celui là n'allait pas déroger à la règle :-)
" Aller hop ! On vire en base ! " me lance Patrick, me ramenant un peu à la réalité.
" Heading QFU " demande-je.
Je profite du virage pour passer mon Navigation Display en mode ILS, toujours étonné par la stabilité artificielle que procurent les commandes de vol électriques. Il suffit juste de mettre un ou deux pour-cent en plus au N1 pour tenir la vitesse. L'axe du localizer commence à rentrer lentement, m'amenant à desserrer un poil le virage.
" Volets 2, speed F + 20 " lance-je à l'attention de mon instructeur.
La tôle sort progressivement. Ce sont surtout les volets qui prennent leur temps; il faut préciser que ceux ci doivent aller dans cette configuration directement de la position 0 à la position 2. Les becs sont plus rapides vu qu'ils étaient déjà en position 1.
La piste apparaît au loin. On distingue bien ses deux rangées de lumières blanches ainsi que la rampe d'approche, de type Calvert. Sur le PFD, le petit diamant magenta du glide commence à descendre. J'annonce " glide actif ! " et l'on acquiesce d'un " vérifié ". On arrive à un point au dessous.
" Train sur sorti "
Patrick abaisse la poignée de train, la mécanique se met en branle : ouverture des portes, descente des roues, verrouillage, fermeture des portes. Dans le poste, on entend distinctement le son produit pendant la séquence ! Il enchaîne aussitôt en allumant les projecteurs " nose " et " runway turn off ". Bien sûr, les spoilers restent désarmés puisque nous sommes partis pour faire un touch and go.
" Train sorti, 3 vertes ! "
Je peux alors demander la suite de la sortie des traînées:
" Volets 3, speed managée "
Mon instructeur place la commande de volets sur 3 et appuie sur le rotacteur speed du FCU. Le petit triangle bleu sur l'échelle gauche du PFD devient alors magenta, signe que c'est l'ordinateur qui calcule la vitesse d'approche. Je réduis aussitôt la poussée et mets l'avion en descente car le glide est maintenant centré. La vitesse diminue lentement mais sûrement.
" Les volets sont à 3 " m'indique-t-on.
" Volets full, et check list avant atterrissage "
Ce cran de volets supplémentaire est fatal pour la vitesse qui vient gentiment s'aligner sur le triangle cible. J'avance à nouveau les manettes afin d'obtenir un N1 voisin de 55%.
" Check list avant atterrissage : A/THR ? "
" Off "
" Memo Landing non apparent, train ? "
" Sorti "
" Signs ? "
" On "
" Spoilers ? "
" Non armés "
" Volets ? "
" Full "
" Check list avant atterrissage terminée "
Nous y voilà. Cette fois c'est pas du chiqué. Il va falloir le poser en vrai.
" Two thousand " annonce le GPWS.
On en profite pour vérifier la concordance entre la sonde et l'altimètre.
Mes yeux font l'aller retour entre la planche de bord et dehors. Dehors pour l'alignement et le plan, dedans pour la vitesse et l'assiette. Sur le plan, avec la bonne vitesse, si l'assiette est verrouillée, il n'y a pas de raison que ça bouge ... Et ça ne bouge pas trop.
" One thousand "
Le gradient de vent m'a déporté légèrement sur la droite. Une petite pression à gauche, à peine deux ou trois degrés d'inclinaison; on a plus l'impression de glisser que de tourner. Le trapèze de la piste est de nouveau symétrique, une petite pression sur la droite jusqu'à incliner légèrement de l'autre coté pendant quelques secondes et je ramène les ailes à l'horizontale; et j'attend que ça sèche comme on dit !
" Air France 514 C, autorisés à l'atterrissage 22, le vent 200°, 10 kt "
Pendant que Patrick collationne la clairance, je poursuis mon scanning visuel en me concentrant de plus en plus sur l'extérieur.
" Five hundred "
Toujours des petites corrections, surtout latérales, pour rester parfaitement sur l'axe...
" Four hundred "
Un ptit coup d'oeil de securité au train et aux volets... Tout est en ordre.
" Three hundred "
Dessous, ca défile de plus en plus vite, l'extrémité de la rampe d'approche est en train de nous passer sous le nez...
" Two hundred "
... puis c'est le tour de la petite route qui longe l'aéroport.
" One hundred "
Minuscule correction à droite pour peaufiner l'axe...
" Fifty "
On vient de passer le seuil de piste. Imperceptiblement, je commence à faire remonter le nez... à peine 1 ou 2 degrés en plus à l'assiette...
" Fourty "
Ma main gauche se prépare à ramener les manettes de gaz en arrière...
" Thirty "
Je commence à réduire doucement pendant que je débute l'arrondi. Pour l'instant c'est vraiment comme au simu !
" Twenty. Retard ! Retard! "
Hop, les manettes dans la poche, et je verrouille l'assiette qui doit flirter avec les 5 degrés...
" Ten "
J'attend l'impact ... une petite pression sur le palonnier pour annuler la très légère dérive.
" Five "
1 mètre 50 au dessus du béton, je titille un peu le mini-manche pour lui tenir le nez en l'air encore quelques fractions de seconde...
Impact ! Enfin, kiss landing pour être exact :-)
La différence avec le simulateur est flagrante. Le simu restitue une secousse, très sèche, et dont l'intensité doit vraisemblablement varier avec la vitesse verticale précédent le toucher.
Ici, l'on a senti la gomme frotter sur la piste, l'effort soudain des jambes du train principal tirées vers l'arrière, la compression des amortisseurs, les vibrations engendrées par le passage de la fluidité de l'air à la rugosité du béton... En gros, cette sensation singulière que provoquent 50 tonnes de métal qui s'asseyent sur quelques décimètres carrés de pneu !
Une pression sur le manche pour poser la roulette de nez. Je laisse alors les manettes de gaz à mon instructeur qui relance les réacteurs à 50% de N1. Pendant que le nombre de tours remonte, il place la manette de volets de la cran 2 et vérifie la neutralité des trims de direction et de profondeur. Puis les manettes sont avancées dans le cran TOGA.
L'Airbus rugit, accélère de nouveau et repasse au dessus de la vitesse d'approche.
" Rotation !"
Et c'est reparti pour de nouvelles aventures, en l'occurrence un tour de piste standard par la gauche, afin de ne pas embêter deux fois de suite les riverains de droite.
On ne monte cette fois qu'à 2000 pieds (1500 ft au dessus du terrain). Evidemment, le survol en virage des faubourgs illuminés de Châteauroux n'en est que plus impressionnant. Nous voici déjà en vent arrière. Cette fois ci, on ne s'éternise pas. Travers le seuil de piste, je demande les volets 2, et speed F+20 sélectée, tout en prenant un top chrono pour l'éloignement.
45 secondes plus tard :
" Train sur sorti ! "
Philippe s'exécute tandis que j'amorce le virage et la mise en descente, à 300 ft par minute au début. Suivent l'interception, la sortie des traînées restantes et un deuxième kiss nocturne !
Le troisième tour de piste est un peu particulier puisqu'il s'agit d'un standard par la droite (rebelote pour les riverains concernés), mais avec une approche finale décalée, histoire de travailler le changement d'axe. C'est donc mon instructeur qui effectue le dernier virage, volontairement plus serré afin de sortir aligné franchement à droite, sur les hangars et la tour en fait !
" A toi les commandes ! " me dit-il.
" J'ai les commandes; check list avant atterrissage ! "
L'avion est configuré, et nous somme à un peu plus de 1000 pieds sol. J'entame ma baillonette par la gauche, avec pas plus de 20° d'inclinaison et en diminuant le vario d'un poil (vu que l'on rallonge la trajectoire). L'axe arrive assez vite. Heureusement car la piste aussi ! C'est quand même épatant de mesurer la relative agilité de l'engin. Finalement, je suis stable à pratiquement 600 pieds sol, la limite basse étant fixée pour ce type d'approche à 500 pieds. Reprise du vario nominal, annonce des hauteurs par la radiosonde, passage du seuil, arrondi, et troisième kiss de suite (il doit y a voir la grande braderie annuelle sur les kiss landings, c'est pas possible autrement). Pendant l'accélération, j'aperçois, venant de la droite, un lapin qui commence à traverser la piste ! Serait-ce le " deuxième effet kiss-cool " ? On flirte avec les 100 noeuds, dans un vacarme du diable, mais Jeannot Lapin, malgré ses grande oreilles, ne semble pas plus assourdi que ça et force la priorité ! Je pense un instant qu'il va soit terminer en bouillie dans le fan du réacteur N°2 ou bien en crêpe sous le train principal droit, vu la manière dont les choses se présentent. Mais point de choc, point de bruit bizarre, les amis des bêtes peuvent donc souffler...
Dernier tour.
Standard 1500 ft par la gauche. Puisque nous allons faire un atterrissage complet, les spoilers sont armés à la sortie du train. Patrick me rappelle que les reverses seront donc disponibles.
" Fifty... Fourty... Thirty... Twenty...Ten...Five... "
Toujours la même technique pour l'arrondi, vers Five, j'attend le moment ou l'avion commence à s'enfoncer, c'est comme une vague sensation fugace quand on fixe la piste au loin; je fais un peu de mayonnaise avec le mini manche histoire de l'asseoir tout en finesse et hop ! Ça touche !
" Spoilers ! "
Du bout des doigts, je me saisis des palettes d'inversion de poussée et les ramène vers le haut. Au bout de quelques secondes, Patrick annonce:
" Reverses vertes "
Les volets de déflexion de jet sont biens déployées, je passe les manette de gaz complètement vers l'arrière. Les réacteurs rugissent de plus belle mais, cette fois ci, pour m'aider à freiner. Quelle puissance ! C'est vrai qu'il faut stopper plus de cinquante tonnes lancées à 200 km/h. Et tout ça du bout des doigts, et sans efforts physique. Du bout des pieds aussi, puisque je freine également avec le palonnier, modérément. La bretelle de sortie est encore loin et ce n'est pas la peine de soumettre mon puissant destrier à des contraintes inutiles, ni d'occuper la piste plus longtemps que nécessaire. Optimisation, optimisation...
" 80 nœuds ! "
Ha, c'est l'heure de repasser les reverses sur ralenti. La vitesse continue de décroître régulièrement. Je rabats les palettes d'inversion, les freins suffisent pour maîtriser la vitesse dorénavant. La sortie est maintenant toute proche et je négocie le virage à un quinzaine de nœuds et demande :
" Actions piste dégagée "
Mon instructeur désarme les spoilers, rentre les volets, coupe les phares d'atterrissage et les feux à éclat, puis passe le phare de la roulette de nez sur la position " taxi ".
L'APU est démarré. Le parking est à deux cents mètres à peine et l'on aperçoit déjà notre ami mécano avec ses deux mini sabres-laser pour nous guider. Juste avant le dernier virage, l'ami Jean Marc va désarmer les toboggans, ce que nous vérifions sur la page " doors " de l'ECAM et Patrick coupe les phares de taxi (sans quoi notre ami sur le tarmac serait vite ébloui).
Je roule au pas, en suivant les indications du mécano et m'arrête lorsqu'il croise ses mains au dessus de la tête. Un petit mouvement du poignet et le frein de park est appliqué. L'avion ne bouge plus. Les deux réacteurs sont coupés l'un après l'autre, ce qui provoque la décroissance de tous les paramètres, N1, EGT, N2, Fuel Flow sur l'ECAM. Le son résiduel des moteurs est très faiblement perceptible, car masqué par celui de la ventilation du cockpit. Nous effectuons la check-list parking. L'assistant au sol nous appelle et nous signifie que les cales sont en place et que le groupe de park est connecté. Effectivement, le voyant " Avail " correspondant est allumé au plafond. J'appuie sur le poussoir et le " Schklak! " du transfert électrique se fait entendre. Mon binôme va ouvrir la porte car l'escabeau est déjà en place. Les mécanos nous informent qu'ils vont bosser sur l'avion dans la foulée, par conséquent, nous coupons uniquement les centrales inertielles, le circuit oxygène équipage, les feux et les pompes carburant. Je termine en diminuant au maximum l'intensité des EFIS. Ça y'est, c'est fini; mes affaires rangées, nous quittons l'appareil. Je ne peux m'empêcher de le regarder et je me dit que c'est fini pour aujourd'hui; mais en fait ca ne fait que commencer ...
Nous nous rendons tous les trois au resto routier du coin, pour un dîner/débriefing. Patrick est content de nous. Nous aussi sommes content de nous, mais c'est surtout une satisfaction extra-pédagogique. Trois quarts d'heure plus tard, retour à l'hotel. Une fois dans ma chambre, je prend mon carnet de vol et à la page 62, sur la huitième ligne j'inscris le plus soigneusement du monde :
22.10.01 / A320 / F-GHQI / EP / Vol hors ligne 1, LFLX / 0 h 55 min
Je dois bien rester cinq minutes à contempler ce que je viens d'écrire ... bon d'accord, dix minutes ! Puis pendant une heure, je me fais redéfiler le film de cette journée. Je mesure le chemin parcouru depuis mon premier vol en instruction à l'aérodrome de Pontoise; c'était le 14 décembre 1991, un vol de 25 min sur un Cessna 152. Quasiment dix ans ! Dix ans avec des moments de joies, des moments de doute, du travail, de l'espoir, de la patience...un peu de chance...
Il est maintenant aux alentours de 22 heures. J'éteins la lumière. Cette nuit, nul besoin de rêve. Il vient de se réaliser...
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