Les Records
Les records sont-il utiles ?
 
 M Louis BREGUET nous dit ...

    Les records d'aviation ont une action indiscutable sur le progrès de l'aviation courante sous ses trois aspects : aéronautique marchande, aéronautique de plaisance, aéronautique militaire. La conquête des records conduit à un effort technique particulièrement important, elle aboutit à la construction de machines dans lesquelles on a recherché la plus grande légèreté possible compatible avec une solidité suffisante, le maximum de qualités aérodynamiques pour le moteur, le maximum de légèreté allié à la moindre consommation spécifique et à l'endurance, le maximum de rendement de l'hélice, enfin, la réalisation la plus satisfaisante d'un ensemble de détails dont l'étude est poussée à l'extrême.
    Le travail ainsi effectué est un travail fécond dont les résultats sont ensuite applicables, en totalité ou en partie, à l'aviation courante. Et il faut bien admettre que ces résultats n'auraient pas été obtenus - ou se seraient fait beaucoup plus attendre - si l'esprit de compétition n'avait pas été là pour stimuler les efforts. La compétition est à la base du progrès, même dans la classe où l'enfant apprend à lire, pourquoi en discuter la valeur dans toutes les branches des sciences où l'homme, encore enfant, a encore tant à apprendre ? Toutes les forces extérieures de l'être humain le poussent à l'action ; la compétition, loin de brider ces forces, les encourage au contraire.
    Travailler à la conquête d'un record est donc une bonne chose, quand ce record n'aboutit pas à la production de " monstres " dangereux n'apportant qu'un enseignement disproportionné à l'effort accompli et au risque couru. Le record de distance et principalement de distance en ligne droite, exige la recherche du mieux dans tout ce qui a trait à la science aéronautique. Il demande des machines robustes emportant le maximum de charge et à côté du rendement du matériel, il fait évoluer et travailler aussi la météorologie, la navigation aérienne, la cartographie, la T.S.F., etc... enfin, toutes choses utiles à l'aviation marchande.
    Mieux encore ! S'il ne conduit pas à la vitesse pure, il force malgré tout à rechercher la vitesse "tout court" qui triomphe des vents contraires et des conditions atmosphériques.
    Mais il faut évidemment constater que ce record joue maintenant sur des distances insoupçonnées il y a quelques années et que notre globe est devenu trop petit ; il est presque impossible de trouver 10.000 kilomètres sur un itinéraire connu et civilisé. La distance Paris-Le Cap est trop petite, les conditions météorologiques sur la Sibérie sont souvent très défavorables ; seul l'itinéraire partant vers les Indes-Malacca- Australie subsiste, à moins de partir délibérément au-dessus des océans.
    A moins d'une modification dans les règles du record en ligne droite, modification permettant d'accomplir par exemple un itinéraire contrôlé formé d'une ligne droite " aller " de (plusieurs milliers de kilomètres et d'une ligne droite retour sur le même trajet, il faut se résoudre aux survols océaniques et par conséquent aux risques qu'ils comportent.
    On comprend donc très bien l'hésitation officielle devant les projets de records actuels ; la Sibérie se révélant trop dangereuse, les équipages se tournent vers l'Atlantique Sud qu'ils survoleront sur des avions terrestres. Faut-il donc tout abandonner ? Les autres nations n'abandonneront pas pour cela, car le record de distance en ligne droite à côté de ses enseignements a son prestige particulier, il est le témoignage éclatant pour la nation qui le possède d'un matériel et d'un équipage hors de pair et d'une technique avancée. Par suite, un tel abandon peut être compris comme un signe d'infériorité.
    Il est donc délicat d'arrêter de telles entreprises et d'empêcher au dedans ce qui se fait au dehors ; le rôle de l'Etat est de discipliner les efforts individuels et non de les entraver. A vouloir être trop prudent, on ne fait jamais rien. Il y a dans la réussite une part de chance contre laquelle les efforts les plus méritoires ne peuvent rien. Si les Blériot, les Voisin, les Farman et nous-mêmes avions été trop prudents, nous n'aurions jamais volé et il va quelquefois des folies qu'il faut faire.
    Le minime incident imprévisible qui arrêta Codos à Dusseldorf, sur le Point d'Interrogation de Costes eut pu se produire alors que ce dernier accomplissait son fameux Paris-New-York et c'eut été l'échec.
    Le fait d'envisager en pleine conscience, l'éventualité de semblables aléas ne fait qu'ajouter encore à la gloire et au mérite des équipages.
    Si, d'autre part, on veut ne risquer sa chance que pour faire beaucoup mieux et battre "largement" les records existants, on attendra pendant des années la venue de " l'Oiseau rare " et pendant ces années, les concurrents amélioreront les résultats déjà obtenus.
    En aviation, il faut aller pas à pas, en travaillant sur ce qui est déjà acquis mais il faut aussi aller de l'avant ; il faut savoir être prudent et téméraire, emballé et réfléchi, accumuler ses chances, mais ne pas attendre l'impossible. Le progrès veut qu'on le violente un peu.
L'Air n° 287 du 15 octobre 1931
 
 
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