Dominique Ottello

Nous avons plutôt l'habitude, sur ce groupe, de lire des histoires de passion pour le pilotage et le vol. Une fois n'est pas coutume, la passion pour l'aéronautique au sol existe, je l'ai rencontrée.

J'avais 13 ans ; c'était hier; je m'y vois encore, tout émerveillé. Un superbe avion avec 4 moteurs et trois gouvernails, là, tout près, je pouvais presque le toucher. C'était le Super-Starliner L-1649 F-BHBO en 1957 à Orly un dimanche au mois de septembre, juste avant la rentrée. J'ai encore le petit morceau de papier sur lequel je l'avais noté. J'étais allé à Orly pour voir les avions, non pas pour l'évasion qu'ils représentaient, mais pour les formidables machines, pleines de trucs, de machins et de bidules. Quelques années plus tard, j'en apprendrais beaucoup plus sur les 4 moteurs de 3 400ch, sur les hélices Hamilton, sur la synchronisation de celles-ci, mais n'anticipons pas.

C'est cet aéronef qui a déclenché ma carrière dans l'aviation et, depuis ce temps, je ne me lasse pas de regarder - toujours avec mon âme d'enfant - les avions de tout type décoller et atterrir et surtout celui qui me fascine toujours autant depuis 25 ans, le Concorde.

Ce qui m'attirait, c'était le "pourquoi du comment" ; comment un avion si lourd pouvait voler, comment on peut le diriger, le faire décoller et atterrir, où met-on le carburant, et plein d'autres questions qui trouvèrent leurs réponses l'année suivante lors d'une autre visite à Orly où, en gamin qui n'a peur de rien, j'avais réussi à me faufiler sur le tarmac quasiment sous un avion. Je fus quand même interpellé par un "mécano" qui "bricolait" sur l'avion. Tout contrit (en apparence seulement), je lui expliquais que j'étais fasciné par les avions et que je voulais voir "comment ça marche".

Formidable qu'il fût le mécano, "appelle-moi André" qu'il me dit, puis "Que veux-tu savoir ?". Les questions se bousculaient dans ma tête, n'arrivaient pas jusqu'à mes lèvres, je bafouillais, bredouillais des mots sans suite, tout se mélangeait ; j'étais sans doute tombé sur la seule personne qui n'avait pas dit "Veux-tu me foutre le camp de là" et voilà que je restais coi.

En plus d'être formidable, André était aussi pédagogue, sans doute sans le savoir, puisque que c'est lui qui posa les questions et formula les réponses. Avec une simple feuille de papier, il me fit comprendre, en soufflant au-dessous et surtout au-dessus comment un avion pouvait voler et ce qu'était que la portance (à l'époque, en 4e, on savait ce qu'étaient les pressions et dépressions). Il me montra et m'expliqua tout : les étoiles des pistons des moteurs, les hélices à pas variable et pourquoi, les ailerons et leurs petits volets d'aide, les volets hypersustentateurs, les gouvernes de direction, les trains d'atterrissage, et, suprême bonheur, le poste de pilotage avec tous ses cadrans, manettes, loupiotes et manches. Il parlait beaucoup André, mais simplement, doucement, avec cette passion qu'ont tous les amoureux de leur métier ; un artiste ; c'était un bonheur indicible que de l'écouter. J'avais même pas besoin de dire quoi que ce soit, il devançait mes questions. Plus de trois heures je l'ai écouté et suivi ; trois heures de joie et de béatitude.

Je suis rentré à la maison en pleine euphorie et ma nuit fut peuplée d'ailes, d'hélices et de cadrans.

Merci à toi André. Je sais que c'est toi qui as guidé mes mains et ma tête lors de toute ma carrière. Une pensée émue vole vers toi, sur ton petit nuage, car tu ne peux être que là, à regarder passer tes chers avions.

L'année suivante, en 3e, je présentais 3 concours :
- École d'Air France à Vilgénis (André m'en avait parlé)
- École de Chimie d'Arsonval (Il faut dire que je pratiquais pas mal d'expériences de chimie à la maison et que j'avais en 4e et 3e un prof de physique/chimie "pas mal" qui, entre autres, avait fabriqué un petit peu de nitroglycérine et qui, pour nous en montrer les effets destructeurs, n'avait rien trouvé de mieux que d'en laisser tomber une goutte sur le trottoir depuis le 3e étage de l'école. Le cratère avait un diamètre de 80 cm sur une profondeur de 50cm)
- École Nationale Radio Électricité Appliquée de Clichy (Il faut là aussi dire que j'avais créé mon premier poste à galène à 11ans, puis un poste à tube électronique avec des 1Q4 et 1T4 à 13ans en fabriquant moi-même les condensateurs avec du papier "chocolat". Mon père se souvient encore de cette période puisque que la même année que le poste à galène, poussé par le démon de voir "comment ça marche", j'avais ouvert son poste de TSF et j'avais trouvé que beaucoup de vis n'étaient pas serrées - sans doute les prémices du contrôle qualité - et je les avais donc "resserrées". Il en fut quite pour apporter le poste chez le réparateur pour qu'il re-règle tous les "trimmers" et "paddings" que j'avais resserrés.

Cruel dilemme, les trois concours furent réussis. L'appel de l'aéronautique fut le plus fort. Je rejoignais donc l'école de Vilgénis le 12 septembre 1960 pour trois années d'internat. (Le 2 décembre 2000, nous fêtions les 40 ans de la promotion avec d'ailleurs certains autres participants de ce groupe). Trois années de rigueur et de discipline (sans exagération), mais aussi trois années de découvertes, de soif d'apprendre, de camaraderie, de mécanique, d'électricité, de travail sur de vrais avions (Constellation et B26), de travaux manuels indispensables pour le tour de main, de sport, de modèles réduits, de vol à voile et d'alpinisme pendant les vacances, de parcours Hébert (du nom de son fondateur, sorte de parcours du combattant, mais sans tir). La plupart des instructeurs étaient des eux-mêmes des techniciens aéronautiques et des anciens de l'école. Un instructeur m'avait subjugué, celui de métaux légers, un schumak hors pair, qui à partir d'une feuille de dural était capable, avec seulement un darak (marteau) de façonner une sphère parfaite. C'est aussi à cette époque que le professeur de Français , M. Charles Levinson sut ancrer mon penchant pour l'étymologie, l'histoire et le bon emploi des mots.
Un autre instructeur, Georges Le Morvan dit Jojo Le Morcif, qui avait des accointances où il fallait, avait noté les noms de ceux qui désiraient effectuer leur service militaire dans l'Aéronavale ; mon nom fut noté.

Après un mois de travail à Orly, sur Caravelle, je partis pour Hourtin puis pour 17 mois sur le porte-avions Clémenceau à Brest. Direction atelier des équipements électriques et électropneumatiques où j'appris encore beaucoup. Stage de trois semaines à Hyères sur les régulateurs oxygène des sièges éjectables. Départ du PA pour Toulon. Stage de trois semaines à Lann-Bihoué sur le remplacement des hélices des Alizé. Hélices que je montais complètes et en attente sur la paroi tribord du hangar. Une pompe à main était connectée à l'hélice et tous les jours il fallait pomper pour la faire passer par tous les stades de petit pas à grand pas et drapeau et c'est là, bien sûr, que les "collègues" ne se privaient pas de me lancer des phrases du genre "Ne la gonfle pas trop, elle va exploser". Tournage du film "Le Ciel sur la Tête" de Yves Ciampi avec des images de catapultage et d'appontage formidables avec des caméras embarquées dans les réservoirs supplémentaires des Étendards.

Je pourrais encore disserter sur des pages, vous parler de la préparation du support de maintenance de l'A300, de Concorde, de l'A310, de l'A320, du B747-400, de l'A340, mais cela suffit, du moins pour aujourd'hui.

Longue période jusqu'à maintenant, toujours consacrée à la recherche du "pourquoi du comment", à comprendre pour apprendre afin de faire en sorte que les erreurs et défauts passés ne se reproduisent pas. Longue quête d'informations, de comptes-rendus, de calculs de fiabilité, de recherches de défauts, de corrélations de dérives pour tendre vers le "zéro défaut" et d'assurer à tous, équipages et passagers le maximum de sécurité dans la transparence et la crédibilité selon mes convictions et ma passion.

Merci de votre attention.

Dominique Ottello